Dix ans après avoir commis une erreur médicale – un surdosage de morphine – ayant entraîné la mort d’un patient, un interne de garde des hôpitaux marseillais au moment des faits vient d’être reconnu coupable d’homicide involontaire et condamné à 15 mois d’emprisonnement avec sursis. Dans l’urgence de la situation, il avait uniquement réalisé une prescription orale, laquelle a entraîné un quiproquo avec l’infirmière.
Cette condamnation a fait grand bruit chez les internes, qui sont sous pression permanente dans les services hospitaliers. Dans un communiqué commun, tous les syndicats d’internes (Isni, Isnar-IMG, SNIO, FNSIP-BM) ont dénoncé le 26 janvier leur « double statut faussement protecteur » d’étudiants et de professionnels de santé, les exposant à « nombre de désavantages ». Le président de l’Intersyndicale nationale des internes, Guillaume Bailly, détaille au Quotidien l’ampleur du problème et réclame des évolutions sur le temps de travail et le statut.
LE QUOTIDIEN : Dans les services hospitaliers, les prescriptions orales sont-elles fréquentes ?
GUILLAUME BAILLY : Oui, elles sont monnaie courante au quotidien : anesthésie-réanimation, services d’urgence, chirurgie… Nous avons tous, en tant qu’internes, à un moment ou un autre, eu recours aux prescriptions orales. Mais nous voulons aujourd’hui envoyer un message d’alerte : en dehors de l’urgence, elles ne sont pas admises. Nous appelons au respect des règles de prescription. Étant donné cette affaire et la possibilité qu’une situation pareille se reproduise, il faut être particulièrement vigilant, car il y a eu une décision de justice. Il faut que les internes se protègent eux-mêmes pour, in fine, protéger le patient.
Dans certains services de réanimation, il y a un ordinateur dans chaque chambre, alors la prescription se fait tout de suite. Sans ordinateur, en général, la prescription se fait d’abord à l’oral et, ensuite, elle est régularisée sur le logiciel ou sur la pancarte. La plupart du temps, tout se passe bien, grâce aux nombreux filets de sécurité. Mais pour certains médicaments, la moindre erreur peut provoquer un drame… Et cela entraîne des conséquences.
Les médecins encadrants vous protègent-ils vraiment ?
Je pense qu’ils ont comme devoir d’encadrer les prescriptions des internes et de les relire. Mais, évidemment, c’est compliqué pour eux aussi ! Dans bon nombre de services, nous sommes bien encadrés, dans d’autres, effectivement, nous le sommes moins… À titre personnel, j’ai toujours, en cardiologie, ma spécialité, été relu dans mes prescriptions. En revanche, en tant que représentant de l’Isni, j’ai reçu des témoignages montrant une inadéquation entre ce qu’on demande aux internes et les relectures du service.
Il faut donc se poser les bonnes questions : le débat ne doit pas seulement être centré sur la responsabilité des internes, mais sur le collectif, avec les PU-PH et les paramédicaux. Pourquoi sommes-nous autant amenés à prescrire de façon orale ?
Je fais le lien avec la 4A de médecine générale (quatrième année d’internat) : certains internes rapportent déjà leur crainte de manque d’encadrement. Ils ne veulent pas être en désert médical sans supervision, car potentiellement ils feront beaucoup de prescriptions et le risque d’erreur médicale est là.
Quelles mesures prioritaires devrait-on prendre à ce sujet ?
Il faut faire en sorte d’avoir le moins de chances possibles de commettre une erreur médicale. Mais elles ont toujours beaucoup de composantes. Les gardes de 24 heures d’affilée, les 100 heures par semaine mais aussi l’ambiguïté du double statut des internes nous rendent sujets aux erreurs. Alors que nous sommes reconnus comme maillon essentiel pour faire tourner les hôpitaux, nous restons sous ce statut d’étudiant approximatif !
Nous sommes en train de travailler deux sujets : le premier porte sur notre temps de travail, avec une procédure en cours ; le deuxième vise à clarifier le double statut, avec des travaux que nous entamons, pour aller vers un statut plus protecteur. Nous allons faire bouger les choses !
Tous les syndicats d’internes sont mobilisés. Pourquoi cette affaire de condamnation a-t-elle autant d’écho chez les jeunes ?
Parce qu’à travers les 35 000 internes que nous sommes, nous avons tous eu le sentiment que nous aurions pu être dans cette situation. Nous nous y reconnaissons. Nous voyons combien il est difficile de se battre, au quotidien, pour nos droits. Ce statut d’interne nous rassemble tous sur les combats que nous menons, avec les dentaires également, qui prescrivent et dont les actes ont un impact sur les patients. Nous avons tous à cœur de bien les soigner.
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