LE QUOTIDIEN : Comment avez-vous choisi la santé publique ?
JULIAN ROZENBERG : J’ai découvert la santé publique assez tard, mais beaucoup plus tôt que beaucoup de gens dans cette spécialité. J’avais à l’origine choisi la médecine non par vocation, par envie de soigner, mais pour l’impact que je pouvais avoir en tant que professionnel de santé. J’avais d’ailleurs hésité à m’orienter plutôt vers les sciences politiques. Durant mes études à Paris 6 [Sorbonne-Université actuellement, ndlr], je ne me retrouvais pas tout à fait dans la fonction de médecin telle qu’on nous la présentait, dans cette relation avec un patient, puis avec un autre… Je cherchais quelque chose me permettant d’avoir un impact plus global. Mais je ne savais pas que la santé publique existait. Ce n’est qu’en cinquième année que j’ai découvert le Spi [L’association des internes de santé publique d’Île-de-France, que Julian Rozenberg a par la suite présidé en 2023, ndlr] : j’ai participé à un apéro-débat avec le fondateur de la société echOpen, qui fait des échographes portables, et j’ai adoré passer plusieurs heures à réimaginer la prise en charge des patients grâce à ces instruments, et plus globalement à évoquer ce que l’innovation pouvait apporter au patient. Puis est arrivé le Covid, qui m’a encore conforté dans l’idée que la santé publique était un sujet primordial… C’est donc ce que j’ai choisi !
VALÉRIE THOMAS : C’est amusant, j’étais aussi plutôt partie pour faire des sciences politiques, mais je me suis trompée de lieu de concours ! Comme je m’étais aussi inscrite en médecine par sécurité, j’ai commencé médecine, mais avec un peu de retard… J’ai toutefois gardé un intérêt pour les sciences sociales, j’assistais à des séminaires de sociologie, je m’étais inscrite en philosophie, je n’avais pas abandonné l’idée selon laquelle la médecine ne résume pas la santé. Puis au moment de l’internat, j’ai pris une année sabbatique dans un hôpital pédiatrique au Gabon, ce qui a été un premier déclic : cela m’a ouvert à l’international, aux problématiques des personnes en exil, à l’importance de la prévention, aux questionnements sociaux, aux réflexions sur la disparité des moyens entre les différents systèmes de santé… Quand je suis rentrée, j’ai aussi rencontré des membres du Spi qui m’ont fait comprendre que l’internat de santé publique était ouvert, qu’il permettait des carrières à l’international, dans le monde de la prévention, etc. J’ai donc préparé l’internat avec cette idée en tête… C’était d’ailleurs à peu près la seule idée que j’avais !
Je n’avais pas abandonné l’idée selon laquelle la médecine ne résume pas la santé
Dr Valérie Thomas, directrice médicale du SAMU social de Paris
Vous démentez donc le cliché selon lequel beaucoup d’internes se retrouvent en santé publique parce que leur classement ne leur permet pas une autre spécialité, et notamment une spécialité permettant de prescrire ?
V. T. : Dans ma promotion, la santé publique était un choix positif pour presque la totalité des internes, et les deux tiers étaient classés parmi les 500 premiers. Nous étions tous extrêmement motivés, contents d’être là, et beaucoup d’entre nous avaient des idées bien précises. Par ailleurs une partie d’entre nous a aussi exercé une activité clinique. Pour ma part, j’ai exercé comme urgentiste jusqu’en 2019. D’autres ont exercé en gériatrie, en infectiologie, certains se sont spécialisés secondairement en médecine générale… Nous sommes donc nombreux à prescrire ou à avoir prescrit.
J. R. : Mon domaine d’exercice, plus centré sur l’innovation médicale, est plus lointain de la clinique, et je ne rédige pas d’ordonnances, mais je confirme que dans ma promotion, notamment pour des postes en médecine sociale, beaucoup ont un exercice clinique au quotidien. L’une des particularités de l’internat de santé publique est d’offrir beaucoup plus de stages qu’il n’y a d’internes : il y a donc de nombreux lieux avec une activité clinique. Il faut bien comprendre que quand on devient médecin de santé publique, on ne dépose pas son ordonnancier : c’est un exercice hybride, qui garde un lien avec le patient, mais qui a cette particularité de toujours avoir une dimension globale, collective.
Comment explique-t-on que cette spécialité est moins choisie que les autres ?
V. T. : Je pense qu’il s’agit d’une spécialité méconnue. Lors de mes études, nous avions très peu d’enseignements de santé publique au cours du deuxième cycle, et le peu que nous avions était présenté de façon un peu rébarbative, sans pouvoir donner aucune idée de la réalité du métier, des perspectives de carrières qu’il ouvrait. La santé publique est un espace de liberté, or notre formation ne nous encourage pas à prendre des initiatives, nous sommes peu accompagnés vers des terres inconnues.
J. R. : J’abonde dans le sens de Valérie. Il peut sembler plus compliqué de se projeter en santé publique que dans une autre spécialité où l’on connaît d’avance les étapes, et où l’on sait à peu près comment on exercera à 30, 40, 50 puis 60 ans. Quand on fait de la santé publique, on ne sait pas toujours où l’on sera l’année prochaine, cela peut d’ailleurs être à l’autre bout du monde, ce qui peut parfois faire peur. On dit souvent qu’il y a autant de formes d’exercice en santé publique qu’il y a de médecins de santé publique, et il est parfois difficile de trouver des modèles à suivre.
Comment la santé publique a-t-elle évolué au cours des dernières années, et comment peut-elle se transformer dans les années à venir ?
V. T. : Il est compliqué de se projeter, car le futur de la discipline est notamment lié à des questions de volonté politique, à des transformations internes à la médecine, à l’université… Ce qui est certain, c’est qu’on mobilise de plus en plus les compétences de diverses professions dans le domaine de la santé publique. J’embauche par exemple des infirmiers formés en santé publique, et je vois la richesse que cela permet pour penser le futur d’un système de santé.
J. R. : Ce qui est certain, c’est qu’il y aura toujours besoin de médecins de santé publique, et que dès la fin de notre internat, nous sommes tous harcelés de propositions d’embauche. Le savoir médical, dans des milieux différents de celui dans lequel les médecins évoluent habituellement, a une valeur qu’on oublie souvent. Mais il est vrai que c’est un environnement qui n’est pas la chasse gardée du médecin : contrairement à un cardiologue, qui est le seul à pouvoir exercer la cardiologie, le médecin de santé publique peut voir son poste pris par un médecin d’une autre spécialité, par un autre professionnel, qu’il soit un professionnel de santé ou non, et tous peuvent eux aussi être pertinents. Nous sommes à l’interface entre plusieurs milieux, et exerçons en quelque sorte un métier de traducteur.
V. T. : En plus de cette image de l’interface ou du traducteur, j’aime utiliser l’image de la charnière : nous sommes des leviers d’actions à la frontière entre plusieurs mondes.
C’est à chacun de créer sa propre histoire
Julian Rozenberg, interne parisien en stage à l’Agence de l’innovation en santé
Si un externe hésitant à choisir la santé publique venait vous demander conseil, tenteriez-vous de le convaincre ? Que lui diriez-vous ?
J. R. : Je n’essaierais pas de le convaincre, car comme d’autres, l’internat de santé publique n’est pas fait pour tout le monde. Il correspond à des personnes qui ont envie d’un exercice varié, ouvert, où l’on se pose des questions. C’est un internat extrêmement libre, avec une offre de stage infinie, et j’en profite pour signaler qu’il y a chaque semestre des stages ouverts aux internes d’autres spécialités. C’est une bonne manière de venir découvrir ce que nous faisons.
V. T. : Il y a peu d’espaces dans le monde de la santé pour construire à ce point son propre chemin, à l’aune de ses rencontres, de ses centres d’intérêt, de ses voyages… C’est ce qui m’a donné le plaisir immense d’avoir l’impression de contribuer collectivement à faire avancer les sujets sur lesquels je travaillais. Mais je suis d’accord pour dire que ce n’est pas fait pour tout le monde, qu’il faut être prêt à embrasser une carrière où l’on ne sait pas ce qu’on va devenir.
J. R. : Effectivement, quand on commence l’internat de santé publique, on sait rarement exactement ce qu’on veut faire, et cela peut être déroutant car contrairement à ce qui se passe dans d’autres spécialités, la quasi-totalité de nos stages sont libres. J’avais personnellement une appétence pour les nouvelles technologies, pour servir d’interface avec le monde de l’administration, de l’entreprise, et j’ai pu construire un internat où j’ai fait des passages en clinique, mais aussi dans un cabinet de conseil, dans une start-up… Et je suis maintenant en train de faire l’option « administration de la santé », qui ajoute un an à notre internat. C’est à chacun de créer sa propre histoire.
Valérie Thomas
1998 : internat de santé publique à Paris
2004 : consultante à l’international
2005 : PH en médecine d’urgence
2016 : présidente de l’association WAN, Chababi project, à Mayotte
2023 : directrice médicale du SAMU social de Paris
Julian Rozenberg
2013 : début des études de médecine à Paris
2020 : internat de médecine en santé publique
2023 : option « administration de la santé »
2023 : président de l’association des internes de santé publique d’Île-de-France (Spi)
2024 : stage à l’Agence de l’innovation en santé (AIS)
« Pour la coupe du monde, un ami a proposé quatre fois le prix » : le petit business de la revente de gardes
Temps de travail des internes : le gouvernement rappelle à l’ordre les CHU
Les doyens veulent créer un « service médical à la Nation » pour les jeunes médecins, les juniors tiquent
Banderole sexiste à l'université de Tours : ouverture d'une enquête pénale