Le clin d'œil d'Aviscène

Encore un suicide d’interne, bougeons !

Publié le 31/01/2020

Une interne lilloise s’est donné la mort il y a deux semaines. On ne connaît pas les raisons de son geste. Elle n’est malheureusement pas un cas isolé. La semaine précédente, un anesthésiste avait aussi mis fin à ses jours à l’hôpital. Les suicides sont devenus monnaie courante dans le monde médical.

Comment expliquer ce mal-être des blouses, et parfois dès qu'ils entament leur formation ? Y a-t-il un dénominateur commun à ces passages à l'acte ? Très clairement, la réponse est oui. Des enquêtes ont montré combien les étudiants et internes pouvaient être en souffrance. Celle menée en 2017 par les syndicats d'étudiants (Anemf), internes (Isni et Isnar-IMG) et chefs de cliniques (Isncca) avait eu des résultats sans équivoque : 27,7% des 22 000 répondants déclaraient avoir souffert de dépression et 23 % avaient déjà présenté des idées suicidaires.

Comment expliquer ce phénomène ? À mon sens, plusieurs éléments entrent en jeu. L’entrée précoce dans des études interminables et difficiles, un concours d’entrée traumatisant pour certains, un contact rapide et très souvent non préparé avec la mort – souvenez-vous des dissections en 2e année –, l’enchaînement de situations éprouvantes sur le plan psychique dès l’externat avec un contact étroit avec la maladie, la souffrance, la violence, la précarité... et la pression inhérente aux examens et aux concours, la nécessité de ne jamais flancher, et ce tabou historique de cacher ses émotions.

Spirale infernale

Une fois dans la matrice, difficile de faire machine arrière. Les étudiants ont forcément, à un moment ou un autre, le sentiment d’être emprisonnés dans une spirale infernale. Ils doivent apprendre à encaisser les coups durs sans faillir et sans pouvoir trouver une aide quelconque. Puis, pendant l’internat, viennent les semaines de plus de 50 heures de travail, de nouvelles responsabilités, souvent un manque d’encadrement, les gardes qui s’enchaînent avec des nuits seuls aux urgences sans répit. Et parfois des chefs odieux qui font fi de la souffrance de leurs internes. Comment faire lorsque l'on va mal ? à qui se confier ? Comment ne pas se mettre à dos ceux qui détiennent les clés de la validation d’un DES ?

Certains vous diront que cette situation est un passage obligé, qu'elle fait partie du métier. Soit tu es fait pour encaisser, soit tu dois changer de voie... Je ne suis pas d’accord. Dans un pays comme la France, je suis persuadé que l’on peut préparer les médecins dans de meilleures conditions. Pour cela, il ne faut pas uniquement un cursus théorique et pratique de qualité. Il faut aussi que les médecins en formation aient un soutien psychologique sur le long terme. Il est indispensable d’apprendre aux futurs soignants à gérer les moments difficiles, à prendre du recul. D'organiser des moments de débriefing en stage et hors stage pendant lesquels le bien-être de l'interne sera évoqué. Des évaluations régulières doivent aussi avoir lieu pour voir qui nécessiterait d’être suivi de près. Je suis sûr que de cette manière, nous pourrions former des médecins compétents, psychologiquement mieux armés, sans pour autant en faire des êtres dénués d’empathie ou blasés par l'usure du métier. On a marché sur la Lune il y a 60 ans, ce n'est pas demander la lune que d’exiger cette évolution.

Aviscène, en 3e année de DES à Lille, s’est fait connaître grâce à ses vidéos sur YouTube dans lesquelles il dépeint avec humour sa vie d’étudiant.

Pour prolonger la réflexion, visionnez la vidéo ci-dessous :


Source : Le Généraliste: 2897