Parent pauvre des politiques de santé publiques en France, la prévention fait l’objet de critiques récurrentes, notamment en ce qui concerne son manque de structuration et de moyens. Ce constat est partagé par les syndicats étudiants de l’Anemf, l’Isni, l’Isnar-IMG et le syndicat des jeunes médecins installés et remplaçants Reagjir, qui cosignent un manifeste pour un système de santé davantage orienté vers la prévention, que Le Quotidien s’est procuré en exclusivité.
Face à une population vieillissante et un nombre croissant de personnes susceptibles de développer des pathologies chroniques, ces syndicats soulignent l’importance d’engager un virage préventif pour répondre aux défis de santé publique de demain. « À travers ce manifeste, l’objectif est de donner une vision pour passer d'un système de soin à un système de santé, formule le Dr Raphaël Dachicourt, médecin généraliste et président de Reagjir. Nous devons aller au-delà des consultations individuelles pour adopter une approche populationnelle [à l’échelle d’un territoire, NDLR] intégrant la prévention dans la vie des patients »
5 %
C’est le taux des dépenses consacrées à la prévention en France
Tout changer dès la première année
Pour amorcer ce virage préventif, les syndicats proposent d’introduire une véritable culture de la prévention dès le début de la formation médicale. Alors que cette thématique est, selon eux, presque absente des programmes, ils souhaitent qu’elle s’installe de façon transversale tout au long du cursus, avec des modules obligatoires dès la première année. « L’idée n’est pas d’alourdir le programme, mais d’évaluer les enseignements actuels et de revoir certains contenus pour identifier ceux essentiels à la pratique et ceux qui pourraient être remplacés par des modules sur la prévention », précise Lucas Poitevin, président de l’Anemf. L’étudiant en cinquième année d’externat prend l’exemple du cycle de Krebs, passage obligé en première année certes « utile pour l’apprentissage » mais « pas toujours utile dans la pratique » et rapidement relégué aux oubliettes. Au cours du deuxième cycle, les cours magistraux doivent intégrer la prévention, martèlent les syndicats. Comment ? En transformant par exemple certaines unités optionnelles comme la santé environnementale en unités obligatoires.
Transformer certaines unités optionnelles comme la santé environnementale en unités obligatoires
Sanctuariser demi-journée par semaine
Cette acculturation doit se poursuivre tout au long de l’externat à travers la réalisation de stages tournés vers la prévention, sur des lieux d’exercice tels que les écoles, les collectivités territoriales ou les services de santé en entreprise. Les auteurs du manifeste proposent par ailleurs d’accorder à chaque interne une demi-journée hebdomadaire pour des missions en santé publique, dans les services de PMI par exemple, afin d’enrichir leurs stages d’une expérience concrète en prévention. « Les stages hors filières en santé publique doivent être encouragés dans toutes les spécialités car c’est loin d’être le cas aujourd’hui, pointe Killian L'helgouarc'h, président de l’Isni. Par ailleurs, nos enseignants doivent être sensibilisés à l’importance de la prévention », insiste-t-il.
En ce qui concerne les internes de médecine générale, la formation à la prise en charge des addictions, comme le tabac, doit être intensifiée. « On sait très bien aujourd’hui que le généraliste est en première ligne pour aider les patients à arrêter le tabac sauf que, pour les étudiants, c’est loin d’être inné, constate Bastien Bailleul, président de l’Isnar-IMG. Pour être opérationnels, les futurs médecins ont besoin d’une formation théorique solide mais surtout d'une formation pratique, en participant à des consultations aux côtés d’addictologues, de psychiatres et d’autres spécialistes de la prévention. »
D'après les syndicats, renforcer la prévention tout au long du cursus constitue un levier essentiel pour améliorer l'attractivité de la santé publique. « Actuellement, cette spécialité reste peu connue et souffre de nombreux préjugés de la part des internes. Beaucoup ignorent les véritables enjeux de cette discipline et ce qu'implique un parcours en santé publique », déplore Killian L'helgouarc'h, qui appelle à un changement de paradigme.
En formant mieux les futurs médecins, non seulement à la prévention mais aussi à une approche populationnelle de la santé, l'objectif est d’améliorer leurs compétences et de les inciter à s'investir dans des projets de santé publique en lien avec les besoins de leur territoire.
Beaucoup ignorent les véritables enjeux de cette discipline et ce qu'implique un parcours en santé publique
Killian L'helgouarc'h, président de l’Isni
Haro sur la politique « descendante »
Toutefois, « sans financement, pas de prévention efficace », écrivent les syndicats. Actuellement, les dépenses consacrées à la prévention en France ne représentent que 5 % de l’ensemble des dépenses de santé, soit près de 13 milliards d’euros. Un ratio bien insuffisant pour les jeunes médecins, qui appellent à un effort budgétaire conséquent pour porter cette part à 10 % d'ici cinq ans. « Ce financement devrait être fléché et évalué de manière transparente pour une gestion plus efficiente des fonds publics et privés dédiés », résument-ils.
Enfin, les auteurs interpellent sur la nécessité de mettre en place un cadre de gouvernance clair au niveau national et territorial, impliquant une coordination étroite entre les agences sanitaires existantes. « Une des difficultés rencontrée par les ARS aujourd’hui est d’avoir cette vision fine du territoire car, d’un bassin de vie à un autre, il y a bien souvent des différences majeures en matière de santé qui demandent à être étudiées au niveau local, afin d’apporter une solution adaptée au plus près des besoins », soutient Raphaël Dachicourt.
Pour y remédier, les auteurs du rapport préconisent de clarifier la structuration de la territorialisation de la santé dans une logique de « bottom-up » à travers trois échelons : local, départemental et régional. « Cela éviterait d’avoir cette politique très descendante, où les décisions sont prises uniquement au niveau national, parfois sans concertation avec les territoires. C’est pourquoi les communautés libérales des CPTS ou les conseils territoriaux de santé doivent selon nous jouer un rôle de premier plan pour aller vers cette idée de parlement en santé », résume-t-il. Les jeunes médecins proposent enfin d'instaurer une loi d'orientation et de programmation sanitaire sur cinq ans qui intégrerait une stratégie nationale de santé publique. Cette stratégie se fonderait sur un diagnostic national actualisé de l'état de santé de la population, élaboré à partir des données de santé bassin de vie par bassin de vie.
Reste désormais à savoir si ce projet ambitieux, présenté à l’Assemblée nationale le 30 octobre, rencontrera l’écoute des décideurs politiques. À l’heure où le budget de la Sécurité sociale pour 2025 et sa recherche d’économies à tous crins a toutes les peines du monde à convaincre le Parlement, rien n’est moins sûr.
Rendez-vous manqué pour les consultations de prévention ?
Le budget Sécu pour 2023 a instauré des consultations aux âges clés de la vie à 20-25 ans, 40-45 ans et 60-65 ans, abordant la vaccination et les addictions pour les jeunes, les risques de cancers et l'activité physique pour les adultes, la prévention de l’autonomie et le dépistage des cancers pour les seniors. Initialement appelé « consultations de prévention », ce « bilan prévention » certes honorable dans l’esprit a malheureusement perdu en route son objectif de suivi médical efficace, estime Raphaël Dachicourt. « Ces consultations sont désormais des rendez-vous sans continuité dans le parcours de soins, regrette le généraliste et président de Reagjir. Bien qu'elles facilitent l'accès à des professionnels de santé, le manque de réflexion sur le suivi du patient reste problématique. » La rémunération fixée à 30 euros pour 45 minutes est jugée insuffisante. « Quand c’est bien fait, cela prend généralement au moins une heure, avec en plus un document à téléverser dans le dossier médical partagé (DMP) », souligne le généraliste. Pas de quoi convaincre la profession de se lancer dans la prévention.
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