LE QUOTIDIEN : Pouvez-vous nous parler de Simon, de ce qu'il aimait dans la vie, de ses aspirations en tant qu'étudiant en médecine ?
DANIEL GUERMONPREZ : En juillet 2021, Simon venait tout juste de réussir sa première année de médecine et allait entrer en deuxième année. Son rêve était de devenir chirurgien. Depuis son enfance, il avait toujours été très studieux et sérieux dans ses études, préférant se concentrer sur ses objectifs plutôt que de sortir ou de faire la fête. C’était un élève brillant. Il ne buvait pas d'alcool même lors de célébrations familiales, où on lui proposait parfois un verre de champagne ou de vin. Cela ne l'intéressait pas. C'est peut-être pour cette raison qu'il a pu être une cible facile pour d'autres étudiants lors de la soirée d’intégration qui a précédé son décès, le 9 juillet de la même année.
Après trois années d’attente, vous avez enfin eu accès aux rapports d’enquête de la police judiciaire et des inspecteurs de l’IGESR. Cela vous a-t-il permis de faire la lumière sur ce qu’il s’est passé ?
Oui, les faits sont accablants pour les organisateurs de la soirée. Le rapport de police que nous avons reçu début juillet indique que les étudiants organisateurs ont fait ingurgiter à Simon 12 seringues d'alcool directement dans la bouche, soit l'équivalent de douze shooters [entre 25 ml et 100 ml d'un alcool fort, NDLR], en moins de deux heures. Il s’agissait d’un rituel d’intégration.
La soirée s’est déroulée dans un petit appartement. Ils étaient 150, sans assurance, sans poste de secours, sans licence d’alcool et sans garde-fou pour stopper un début de bizutage. C’était un lieu tenu secret, il n’y avait rien d’officiel. Une fois que la soirée s’est terminée, les organisateurs ont laissé Simon rentrer seul chez lui, sans aucune aide. Nous avons appris plus tard que de nombreux parents avaient cherché leurs enfants pendant des heures après la soirée et ne les avaient retrouvés que bien plus tard grâce à l’aide de leur géolocalisation.
Quant à Simon, il a pris un taxi qui l’a déposé devant notre domicile. Il n’est pas rentré toute de suite à la maison. Il était totalement déboussolé et s’est dirigé vers l’autoroute, où il a été percuté accidentellement par un véhicule.
En ce qui concerne le rapport de l'IGESR que nous avons reçu fin juillet, nous avons été profondément choqués en le lisant, nous sommes littéralement tombés à terre. Ce rapport a tout changé pour nous. Nous ne nous attendions pas à ce que les inspecteurs dénoncent à ce point le laxisme de l'université et mettent en lumière de tels manquements. C'est pourquoi nous avons décidé de demander un renvoi du procès afin d'intenter une action en justice contre la faculté. Le procès devrait avoir lieu début 2025.
Qu’attendez-vous du procès ?
Notre objectif est que la faculté de médecine ne soit plus simplement témoin, mais réellement impliquée et qu’elle réponde de ses manquements. Depuis des années, les dirigeants de l’établissement laissent, en toute connaissance de cause, ces soirées d’intégration se poursuivre sans s’assurer que les organisateurs prennent les mesures minimales de sécurité. Dans d’autres facultés de médecine, ces soirées se passent très bien car elles sont davantage encadrées et sécurisées, avec notamment la présence de la Croix-Rouge.
Le problème à la faculté de Lille, c’est qu’en 2013, le doyen a simplement interdit les soirées d'intégration. Il savait très bien que celles-ci continueraient de manière clandestine et donc dangereuse. Depuis, il y a eu de nombreux incidents graves recensés (deux décès, deux viols et plusieurs blessés graves) parmi les étudiants. Mais aucune mesure n’a été mise en place. En 2018, le ministère de l'Enseignement supérieur a instauré une charte pour que les facultés assurent la sécurité des événements. À Lille, cette charte n'est toujours pas appliquée correctement. La faculté reste sur l'interdiction des soirées sans informer ni les étudiants ni leurs parents des raisons et des dangers associés. C’est inadmissible et irresponsable. Depuis trois ans, nous dénonçons haut et fort ces manquements, en vain. C’est un peu le pot de terre contre le pot de fer.
Et s’agissant des organisateurs ?
En ce qui concerne les organisateurs de la soirée, j’espère évidemment qu’ils seront condamnés. Mais malheureusement, en France, les condamnations pour bizutage sont très peu dissuasives. Les bizuteurs s'exposent à une amende de 7 500 euros et de six mois d’emprisonnement, souvent avec sursis. Plusieurs années après les faits, cela n’a d’ailleurs plus trop de sens de condamner des jeunes qui sont déjà sûrement en exercice ou qui ont une vie de famille. Finalement, ma crainte est que ces traditions absurdes et dangereuses continuent de perdurer parce qu'elles ne sont pas véritablement interdites. Il est probable que les bizuteurs restent dans le déni, ne voyant pas de mal à maintenir ces pratiques qu'ils ont eux-mêmes vécues.
Il est vrai que dans d’autres filières comme en écoles de commerce, des soirées alcoolisées sont organisées, mais il y a une différence entre simplement mettre de l’alcool à disposition et en faire ingérer de manière excessive et contrainte. Ces traditions carabines font partie de la norme. Et la faculté de médecine est parfaitement consciente des risques liés à ces événements. Elle sait que certains groupes ont pour seul objectif d’enivrer les bizuts, car c’est ainsi que la tradition le veut. J'aimerais que la faculté de Lille prenne enfin position publiquement contre ces pratiques absurdes. Jusqu’à présent, je n'ai vu aucune déclaration en ce sens. Cette absence de réaction est choquante et laisse penser que la faculté, en ne se prononçant pas, valide et accepte tacitement ces traditions.
Comment envisagez-vous l'avenir de votre engagement ? Quelles seront les prochaines étapes ?
Après la mort de Simon, nous avons lancé une pétition pour dénoncer les traditions de bizutage et d’alcoolisation massive des soirées étudiantes de médecine. Cette pétition a recueilli plus de 38 000 signatures. Cela montre bien que ce sujet est sociétal et qu’il nous concerne tous. Désormais, mon objectif est de faire adopter une loi obligeant les organisateurs d'événements étudiants à appliquer la charte ministérielle. Maintenant qu’un rapport officiel a été publié, nous espérons que les députés prendront en main ce dossier. Je compte relancer cette initiative lorsque le contexte politique sera plus favorable. Mais il est difficile de trouver un groupe de députés prêts à porter cette loi. Quoi qu’il en soit, nous continuerons le combat pour que cessent ces pratiques insupportables.
*Inspection générale de l'Éducation, du Sport et de la Recherche
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