Asthme, arthrose, RGO, cancers... Alors que près d’un Français sur deux est en surpoids ou obèse, de plus en plus de données suggèrent que la surcharge pondérale peut favoriser la survenue de nombreuses pathologies chroniques mais aussi en aggraver l’évolution voir en compliquer le traitement. En sus des contraintes mécaniques exercées par les kilos superflus, l’inflammation systémique induite par le tissu adipeux est de plus en plus pointée du doigt.
Pour autant, sur le plan nutritionnel, si la perte de poids peut être bénéfique dans de nombreuses pathologies liées à l’obésité, les régimes restrictifs sont à bannir. Sous peine sinon de rentrer dans le cercle vicieux de la « restriction cognitive », comme l’explique le Pr Jean-Michel Lecerf (Institut Pasteur de Lille).
Près de la moitié des Français sont en surpoids ou obèses, selon la cohorte nationale Constances. Mais tous n’ont pas besoin de perdre du poids et encore moins de suivre des régimes restrictifs qui altèrent durablement le comportement alimentaire et risquent d’accroître la surcharge pondérable à long terme.
« On sait que les régimes intempestifs chez des personnes qui ont juste quelques kilos en trop ne font qu’aggraver les choses », confirme le Pr Jean-Michel Lecerf. En effet, de nombreux obèses ont mis à mal les mécanismes naturels de régulation du comportement alimentaire en ayant en tête des idées arrêtées concernant les aliments qui font grossir et qu’ils ne doivent pas manger et ceux, peu caloriques, qu’ils peuvent consommer sans limites. Cette « restriction cognitive » impose un contrôle permanent de la nourriture, responsable d'une perte des sensations de faim et de satiété, et engendre des frustrations constantes qui poussent à des prises alimentaires compulsives. « La restriction cognitive est aujourd'hui la première maladie des obèses », estime le Pr Lecerf.
Faut-il vraiment maigrir ?
Pour éviter cette spirale infernale, il est important de déterminer d’abord si un amaigrissement est réellement souhaitable ou possible. La HAS spécifie clairement dans ses recommandations qu'« il n'y a aucun argument pour inciter un patient en simple surpoids stable et sans comorbidité associée à perdre du poids, mais il est important de prévenir une prise de poids supplémentaire ». Les prises de poids de type gynoïde, par exemple, demandent seulement à être stabilisées. Pour une personne âgée, même en surpoids, la préoccupation est plutôt d'éviter la dénutrition et l'amaigrissement. En cas de surpoids avec tour de taille élevée, une stabilisation est recommandée ainsi que des conseils diététiques et d'activité physique pour réduire le tour de taille. Finalement, seuls les patients obèses ou ayant une morbidité associée au surpoids doivent maigrir, selon la HAS.
Cependant, même dans ces cas, l'amaigrissement recommandé est modéré, limité à 5 à 15 % du poids en cas d'obésité. « Beaucoup de médecins et de patients se fixent des objectifs de poids impossibles à atteindre, regrette le Pr Lecerf. Devant un patient obèse, le premier objectif est qu’il ne grossisse plus. Le deuxième c'est qu’il perde du poids, mais plutôt 5 %, avec un maintien à long terme. On peut voir des pertes de poids beaucoup plus importantes, mais c'est inhabituel. Cela dépend du métabolisme, de l'activité physique, des apports alimentaires antérieurs, de l'âge… »
Rééduquer l'alimentation
Plutôt que d’apprendre aux patients quels aliments font grossir ou ne font pas grossir, la prise en charge va s’orienter vers une véritable rééducation de l’alimentation. Pour sortir de la restriction cognitive, il faut recommander dans un premier temps au patient de manger ce dont il a envie, sans aucun interdit. Mais il est important qu’il mange toujours à table, sans faire autre chose, et en se concentrant sur ce qu’il ressent afin de retrouver le plaisir de manger et les sensations qui lui permettront d'ajuster ses apports alimentaires à ses besoins. Souvent cela permet une perte de poids, sans aucune restriction. « Il faut retrouver les repères: quand je mange cela me fait du bien, cela me fait plaisir et ce n’est plus la peine de manger quand je n’ai plus faim, explique le Pr Lecerf. C'est ce que l’on appelle aujourd’hui la pleine conscience. Cela aboutit à une petite diminution des apports, sans troubles du comportement alimentaire, et donc à une stabilisation voire à une réduction du poids. » Il faut aider également le patient à percevoir qu’il existe de vrais faims et de fausses faims liées au stress, à l’anxiété, etc.
L’ensemble de cette prise en charge doit conduire à restaurer un rapport à la nourriture plus apaisé et positif. « Il vaut mieux ne pas parler de l’apport calorique des aliments sinon on suscite des obsessions, insiste le Pr Lecerf. Au contraire, on peut aider les patients à comprendre que ce n’est pas parce qu’ils mangent un carré de chocolat qu’ils iront plus mal. La prise de poids se produit si, globalement, on mange plus de calories qu’on en dépense. Cela les rassure et ils finissent par moins consommer les aliments dont ils abusaient par frustration. »
Chaque mouvement compte
Le deuxième volet de la prise en charge, aussi important que celui de l’alimentation, est la reprise d’une activité physique. Les bienfaits de l’exercice ne se limitent pas à l’augmentation des dépenses énergétiques. En développant la masse musculaire, l’activité physique accroît le métabolisme de base et la capacité d’oxydation des lipides, concourant ainsi à la perte de poids. Elle joue également un rôle essentiel dans la prévention et la prise en charge des comorbidités, en particulier les maladies cardio-vasculaires. Enfin, elle met le patient dans une dynamique positive, entraînant très vite une amélioration des performances et un bien-être perceptible.
Cette activité physique ne doit pas forcément prendre la forme d’une pratique sportive et doit être adaptée aux capacités de chacun. Chez les personnes ayant une obésité importante, cela peut être tout simplement marcher régulièrement. Chaque mouvement compte. « Le patient doit se remettre à bouger petit à petit, retrouver ses sensations corporelles », commente le Pr Lecerf. Le thermalisme, dans des stations spécialisées, peut être une bonne aide car il permet une prise en charge globale avec des conseils sur l’activité physique, une approche psychologique, des activités en groupe..., estime-t-il.
« En revanche, les médicaments n’ont aucune place dans la prise en charge du surpoids. Aucun n’a l’AMM en France dans l’obésité et ceux disponibles à l’étranger sont dangereux ». Les analogues du GLP-1 sont une aide à la perte de poids pour les diabétiques de type 2 mais n’ont pas d’indication aujourd’hui chez les non-diabétiques.
L’avis d’un spécialiste de l’obésité est souhaitable en cas d’obésité sévère (IMC >40 kg/m²), compliquée, associée à des troubles psychologiques ou psychiatriques. « Malheureusement, on a souvent recours à nous après avoir essayé divers régimes injustifiés », remarque le Pr Lecerf.
La chirurgie bariatrique devrait être réservée à des cas très sévères, avec des morbidités et des handicaps. Le Pr Lecerf propose l’intervention à 5 à 10 % de ses patients. « Il y a de véritables sauvetages, souligne-t-il, mais aussi des personnes qui vont très mal après car il y a des complications, mécaniques, psychiatriques, nutritionnelles. Malheureusement, la chirurgie bariatrique n’est pas assez encadrée. On fait trop d’interventions, chez des personnes mal préparées, mal suivies ».
Ces difficultés soulignent l’importance de la recherche fondamentale pour comprendre l’épidémie actuelle d’obésité et les grandes inégalités qui existe face à la prise de poids. Ces inégalités peuvent être liées à de multiples facteurs génétiques et épigénétiques, alimentaires, mais aussi non alimentaires (médicaments, psychotropes notamment, déficit de sommeil, dysfonctions neuro-hormonales, microbiote…), « dont la part est énorme, juge le Pr Lecerf. Certaines personnes prennent 50 kg après une agression sexuelle ». Mais, selon lui, il existe de bons espoirs de trouver des médicaments efficaces. « Il ne faut pas cependant pas s’attendre à ce qu’ils solutionnent le problème de l’obésité. On doit donc absolument mettre l’accent sur la prévention, lutter contre la sédentarité, apprendre à manger, écouter sa physiologie et, surtout, ne pas fixer toute une série d'interdits. La diététique, c'est simple : modération et variété. Malheureusement, nous sommes tombés dans une manie délirante avec les régimes: monodiète, jeûne... C'est une cacophonie folle et le patient en est la première victime. »
*Le Pr Lecerf est médecin à l'Institut Pasteur de Lille. Il a publié « A chacun son vrai poids », aux Editions Odile Ja