Toutes les données épidémiologiques le confirment : les femmes sont moins exposées que les hommes aux formes graves de Covid-19. Pour autant, au cours de ces dernières semaines, les alertes quant à l’impact potentiel de l’épidémie et du confinement sur la santé féminine se sont multipliées.
Des craintes sur le suivi gynéco
Au-delà des risques de discontinuité des soins pour les malades chroniques, les craintes ont concerné pour beaucoup le suivi gynécologique et obstétrique. « Pendant deux mois, on est complètement passés à côté du suivi gynécologique ordinaire, reconnaît le Dr Joëlle Belaisch-Allart, gynécologue, au centre hospitalier des Quatre-Villes (Hauts-de-Seine). Mais on a essayé de préserver le suivi des grossesses. » Dès le 30 mars, les recommandations émises par le Collège et le Syndicat national des gynécologues obstétriciens (CNGOF et SYNGOF), avec la HAS, ont réorganisé la prise en charge des femmes enceintes pour privilégier les téléconsultations pour les grossesses à bas risque obstétrical et systématiquement coupler les échographies aux consultations en présentiel. Le dispositif semble avoir porté ses fruits : « Aucune grossesse n’a disparu des radars et je n’ai pas le sentiment qu’on ait perdu en qualité avec les téléconsultations, rassurele Pr Philippe Deruelle (CHRU de Strasbourg). Pour une grossesse à bas risque, 80 % d’une consultation s’appuie sur l’interrogatoire et le dialogue et on peut se contenter d’examens physiques un mois sur deux. »
Comme ses confrères, le gynécologue s’interroge en revanche sur l’énorme baisse de fréquentation des urgences gynécologiques. « On est passés de 20-30 consultations/jour à 2 ou 3. Du jamais vu. » Pour déterminer si cette désaffection subite reflète un vrai renoncement aux soins lié à la crise ou plutôt un problème d’accès aux soins de ces femmes les conduisant en temps normal aux urgences alors qu’elles n’en relèvent pas toujours, « nous avons le projet de nous pencher sur la question avec le CNGOF et des équipes de recherche ».
En marge de ces problématiques de suivi, des questions se sont également posées quant à l’impact potentiel du coronavirus sur la femme enceinte et le fœtus. Par précaution, la grossesse (troisième trimestre) a été classée parmi les facteurs de risque de forme grave de Covid. Mais les données restent parcellaires et pour le moment, en France, aucune femme enceinte n’a été recensée parmi les formes graves ou les décès liés au SARS-CoV-2. De même, la littérature est plutôt rassurante quant aux conséquences d’une infection prénatale sur l’enfant à naître. Malgré des cas jugés « troublants » de nouveau-nés présentant des symptômes évocateurs de Covid, rapportés en Chine et au Pérou, « nous ne savons toujours pas si une femme enceinte ayant le Covid-19 peut transmettre le virus au fœtus pendant la grossesse ou au bébé pendant l’accouchement », estime l’OMS.
Une chose est sûre en revanche, pour beaucoup de femmes, accoucher à l’ère du Covid s’est révélé difficile avec la limitation drastique des accès aux établissements de soins. « Toutes les études montrent qu’une femme qui accouche seule a plus de risque de dépression du post-partum et certaines maternités se sont montrées beaucoup trop strictes », souligne le Pr Deruelle. La recommandation du 27 mars de faciliter l’accès des accompagnant(e)s en limitant leur présence à deux heures après la naissance « a remis de l’ordre dans la maison périnatale ». Mais une présence si réduite « représente tout de même une forme de violence non acceptable dans la durée ». Le 27 avril, le déconfinement se profilant, le CNGOF a élargi, sous certaines conditions et selon les possibilités locales, la présence de l’accompagnant aux examens obligatoires et aux suites de couches, qui restent raccourcies.
Qu’en est-il des grossesses non désirées ? L’IVG, qui concerne 220 000 femmes chaque année, est souvent le premier des droits des femmes à pâtir d’une asphyxie des services de santé. Compte tenu des délais légaux, elle reste une urgence qui ne peut souffrir deux mois d’arrêt, ont rapidement fait valoir le Planning familial et le Réseau entre la ville et l’hôpital pour l’orthogénie (REVHO). Saisie en urgence par le ministère de la Santé début avril, la HAS a donné son aval à l’allongement de 7 à 9 semaines du délai pour les IVG médicamenteuses à domicile et à la suppression du délai de 48 heures pour les mineures. Pour les IVG par aspiration, si le gouvernement n’a pas voulu officiellement en repousser le délai de 12 à 14 semaines, ce report est néanmoins possible en faisant valoir la détresse psychosociale des patientes. Malgré ces mesures, en l’absence de chiffres pour l’instant, Sarah Durocher, coprésidente du Planning familial, reste inquiète : combien de femmes risquent de se retrouver avec des grossesses non désirées hors délai ? « Les centres d’IVG sont inhabituellement vides » tandis que les appels au numéro vert national ont bondi de 50 % : « les femmes y manifestent à la fois leur peur d’attraper le Covid en se rendant à l’hôpital, et une grande culpabilité en disant : "je sais que les médecins sont très pris, moi ce n’est pas très important" », s’alarme-t-elle.
Des répercussions sur la santé mentale
Pour de nombreuses femmes, ces deux mois se sont aussi révélés un tunnel physiquement et psychiquement épuisant. Le sommeil apparaît très éprouvé. Début avril déjà, trois adultes sur quatre rapportaient des problèmes de sommeil, selon l’enquête longitudinale Coconel, menée deux fois par semaine en ligne auprès d’un échantillon représentatif de la population française, par un consortium de chercheurs. Les femmes apparaissent deux fois plus touchées que les hommes (31 % vs 16 %), particulièrement dans les formes plus intenses d’insomnies. Leur détresse psychologique est aussi plus fréquente (42 % vs 32 %), particulièrement chez les 36-45 ans, et « la comparaison avec les dernières données collectées en population générale en 2017 suggère une nette dégradation de la santé mentale au cours du confinement ». Le BEH du 7 mai dresse un constat proche avec, deux semaines après le début du confinement, des taux d’anxiété plus élévés qu’en temps normal, notamment chez la femme (26 % vs 16,6 % en population masculine vs 13,5 % en population générale avant l’épidémie). « Il est temps que ça s’arrête ! », confirme le Dr Fatma Bouvet de la Maisonneuve, psychiatre et addictologue en région parisienne. « Au début, j’observais plutôt une bonne dynamique chez mes patientes. Certaines se sont mises à créer et d’autres, frappées par l’absurde de leur vie, ont pris de grandes décisions. Mais on constate aussi maintenant beaucoup de décompensationssur un mode anxieux-dépressif chez les femmes. »
Les violences intraconjugales en hausse
Enfin, « tous les pays observent une augmentation des violences conjugales », observe le Dr Gilles Lazimi, généraliste au centre de santé de Romainville. Selon le ministère de l’Intérieur, le nombre de signalements a bondi de 32 % depuis mi-mars et celui des interventions policières à domicile de 40 %. Derrière ces chiffres, « on ne sait pas le détail des violences réelles, ni de la réponse qui y a été apportée, regrette Gilles Lazimi. L’ouverture du 114 aux SMS, la possibilité de se signaler en officines sont une bonne chose. Mais le gros problème est de ne plus voir ces femmes, alors que les tableaux cliniques sont une porte d’entrée au repérage des violences », déplore le praticien. Il invite les généralistes à ne pas hésiter à appeler les patientes concernées ou pour lesquelles ils ont des doutes, pour demander des nouvelles de la famille, voire pour les faire venir au cabinet sous prétexte de bilan médical quelconque. Conscient des risques, le Sénat a voté unanimement en faveur d’un amendement interdisant d’imposer aux femmes une quarantaine avec un conjoint violent.
Moins de formes graves grâce au chromosome X ?
Bien que fortement représentées dans certains métiers à risque élévé de contamination par le coronavirus comme les professions de santé, (87 % d’infirmières, 91 % d’aides-soignantes) ou le personnel des commerces (76 % de caissières et vendeuses), les femmes se sont révélées moins touchées que les hommes par les formes graves de la maladie. En France, 73 % des cas graves et 72 % des décès recensés en réanimation en avril concernent des hommes. Et depuis le 1er mars, parmi les 8 679 certificats de décès électroniques mentionnant une cause Covid, les hommes représentaient 55 % des cas. Pourquoi cette inégalité à l’avantage des femmes ? Selon Jean-Charles Guéry (Inserm), qui étudie les mécanismes des différences liées au sexe dans l’immunité, on ne peut exclure un effet biologique sur l’immunité qui serait lié au sexe, mettant en jeu les hormones stéroïdiennes (et notamment les œstrogènes) ou des facteurs génétiques, le chromosome X contenant de nombreux gènes impliqués dans l’immunité.