Entre l’été 2012 et le printemps 2013, la profession semble être passée de la fureur au consentement à l’égard des génériques. On n’entend plus parler de la contestation autour de la mention « NS ». Et la polémique avec les industriels du Gemme est retombée comme un soufflé. On pourrait en déduire que le paiement à la performance a convaincu les généralistes des vertus du répertoire, de la prescription en DCI et de la substitution. Sauf que tout le monde n’est pas de cet avis
Qui l’eût cru ? C’est sur la prescription en génériques que le paiement à la performance a été… le plus performant ! Alors qu’il y a tout juste six mois, les généralistes étaient encore des milliers à signer une pétition contre les tracasseries du « NS », ils ont finalement été très bons pour le volet efficience conçu par l’Assurance Maladie incitant les médecins à prescrire dans le répertoire : +13 % sur 2012 pour les anti-hypertenseurs ; +17 % pour les IPP et +41 % pour les statines ! Et si pour les antibiotiques et les anti- dépresseurs la croissance est plus modeste (respectivement de 3 et 1 %), les clignotants restent au vert.
Et pourtant, il y a un an, qui aurait pu le deviner ? En juin, un communiqué du Gemme avait mis le feu aux poudres, pointant du doigt la supposée passivité des médecins. Les industriels du générique demandaient aux pouvoirs publics « d’encadrer strictement l’usage excessif de la mention “NS” » utilisée, selon eux, dans 22 % des ordonnances des généralistes. Des affirmations qui avaient fait bondir les syndicats, CSMF en tête.
La polémique semble depuis lors avoir fait « pschitt ». Avec sa prime à la clé, la Rémunération sur Objectifs de Santé Publique (ROSP) aurait-elle donc transformé les généralistes récalcitrants en généralistes performants ? Michel Chassang n’est pas loin de le penser : les médecins ont bel et bien « joué le jeu » des génériques. « Si ça marche, c’est grâce à eux. Et c’est plutôt une bonne chose ! », affirme le leader de la CSMF qui ajoute : « Il faut dédramatiser le débat. S’il faut qu’elle soit mieux gérée, la politique du générique n’a pas à être un sujet polémique ».
« Les médecins ne se sont pas convertis au générique, loin de là !, avance, au contraire, Claude Bronner. S’ils ont obtenu des bons résultats pour cet item c’est uniquement grâce à la substitution. » En dénonçant une « entourloupe », le président d’Union Généraliste, farouche opposant de la ROSP, assure que la Sécu ne mesure, en effet, que la délivrance et ne se base pas sur les ordonnances pour établir ses statistiques. Une assertion confirmée à la CNAM : les chiffres pris en compte sont ceux des médicaments délivrés et remboursés. « On voit bien que l’effort du médecin de prescrire dans le répertoire est comptabilisé », souligne néanmoins Mathilde Lignot-Leloup, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins. Pour obtenir la prime correspondante, les généralistes devaient donc réorienter leurs prescriptions en direction du répertoire et ne pas abuser de la mention « non substituable », sans nécessairement prescrire en DCI.
Pour le Gemme, les médecins mesurent encore trop leurs efforts
Chez les industriels du Gemme, pourtant, on semble toujours attendre davantage d’implication des prescripteurs. Catherine Bourrienne-Bautista estime que sur l’année 2012, la vente de génériques a progressé de presque 10 %. Mais la déléguée générale du Gemme souligne que cette embellie a été réalisée sur la deuxième partie de l’année, en même temps que la relance de la politique « tiers-payant vs générique ». Le P4P n’aurait donc eu, selon elle, qu’un « impact limité » sur ce retour à la croissance du générique qui faisait suite à une forte période de décroissance débutée en 2009. Toutefois, elle concède que ces derniers temps, les remontées de la part des pharmaciens attesteraient d’une moindre utilisation du « NS »…
N’empêche : les industriels du générique campent sur leurs positions. Le Gemme a dans ses cartons de nombreuses propositions. Certaines consensuelles, d’autres non. Il imagine un vaste effort d’information des médecins lors de séances de FMC et, pourquoi pas, lors des études de médecine. Il voit dans la ROSP un possible « levier » du développement des génériques, à condition de « multiplier les classes thérapeutiques concernées », affirme Catherine Bourrienne-Bautista. Mais le Gemme réitère aussi son souhait de voir encadrer davantage le « NS », en soumettant son utilisation à justification auprès du médecin-conseil…
Au risque de priver les médecins de leur liberté de prescription ? Selon Claude Leicher, il est presque trop tard : « Les médecins ont perdu la maîtrise de la prescription », assure le président de MG France, qui impute la faute à « certains syndicats qui au début des années 2000 ont refusé la politique du générique ». Selon lui, « le gouvernement s’est alors tourné vers les pharmaciens en leur proposant le droit de substitution ».
Aux yeux du président de MG France, il faudrait plutôt voir dans les résultats de la ROSP « un bon reflet de la prescription en dehors du répertoire ». Quant à la montée en puissance du générique, il serait « le résultat d’une coopération intelligente entre médecin et pharmacien ». Et pas forcément le fruit d’une « bonne entente » relève-t-il, le second avançant, en effet, l’épée dans les reins.
Côté syndicats, même si les interprétations sont divergentes, la polémique semble marquer une pause sur le générique. Sur le terrain, pour clore les discussions, certains praticiens optent parfois pour la prescription DCI, tout en se fiant, en cas de trous de mémoire, à leur logiciel d’aide à la prescription (LAP). L’informatisation des cabinets – autre item de la ROSP – a, de ce point de vue, de bons côtés : plus besoin de tout apprendre par cœur !
La grogne relayée par les patients
Reste qu’en cas d’opposition à toute prescription, l’obligation d’écrire « non substituable » à la main et en toutes lettres ne passe toujours pas. Et si les médecins semblent moins donner de la voix, la polémique, chassée par la porte, est peut-être en train de revenir par la fenêtre. « Le débat s’est déplacé des médecins aux patients » affirme Yves Puš, généraliste à Villiers-le-Bacle (Essonne). Au cours des derniers six mois, le praticien (qui fait partie du comité scientifique du « Vidal Recos »), reconnaît être quotidiennement confronté aux questions de ses patients qui refusent pour un bon nombre de se faire prescrire des génériques. « Prescrire en DCI c’est un moyen d’éviter les discussions mais c’est lâche », dit-il. Émissions télé, livres, Internet… Face à une telle médiatisation, le généraliste estime « ne plus faire le poids ». « Qu’on prescrive ou non des génériques, les pharmaciens substituent. Le médecin n’a plus aucune prise là-dessus », déplore-t-il.
Alors que les questions autour de la prescription foisonnent, les généralistes ont-ils raison de faire le dos rond ? Yves Puš pense que « la levée de boucliers est tellement forte chez les patients que si on persiste dans cette politique on va vers une vraie crise ». Selon le généraliste, il faudrait écouter les patients et se poser des questions quand au réel intérêt économique et aux répercussions en termes de santé publique de la politique du tout générique. Son confrère parisien, Sauveur Boukris qui vient de publier un livre sur les génériques (voir encadré p. 8) développe un avis similaire. Pour lui, le verdict est sans appel : « La carotte du P4P a fait que les médecins ont arrêté de se poser des questions ». Comme beaucoup de ses confrères, le généraliste estime que les médecins n’ont plus la main sur la prescription depuis juillet 2012, quand, au moment de la Convention des pharmaciens, les pouvoirs publics les ont « court-circuités » et que « le droit de substitution est devenu un devoir ».