Dr Franck Devulder (CSMF) : « ll faudra rendre cette convention plus dynamique !  »

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Publié le 06/06/2024
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Premier syndicat représentatif des médecins libéraux, la CSMF assume dans nos colonnes une signature « de raison, plus que de passion ». Malgré les avancées tarifaires, son président, le Dr Franck Devulder, estime que le texte ne procure pas le choc d’attractivité attendu. La centrale polycatégorielle mise sur un renouveau conventionnel pour améliorer ce contrat, y compris chaque année.

Devulder

LE QUOTIDIEN : La CSMF a signé la convention médicale. Quelles sont les avancées importantes pour la médecine libérale ?

DR FRANCK DEVULDER : La CSMF a approuvé à 90 % ce texte conventionnel. Et je suis fier de porter la voix de mes adhérents, même si c’est plus un vote de raison que de passion. Cette convention médicale a au moins permis de sortir du règlement arbitral, a minima, qui n’était pas du tout incitatif avec une consultation de base de 26,50 euros bloquée pour quatre ans.

Le nouveau contrat procure aux médecins des avantages et pas plus de contraintes. Les revalorisations tarifaires avec le G à 30 euros et l’avis ponctuel de consultant (APC) à 60 euros, avec un élargissement de cette cotation pour la prise en charge d’un patient hospitalisé en cas d’absence de médecin traitant, sont deux avancées importantes.

Je salue aussi la revalorisation de certaines spécialités médicales en bas de l’échelle des revenus comme la pédiatrie, la psychiatrie ou la rhumatologie, réclamée depuis longtemps par notre syndicat, même si certains diront que ce n’est pas suffisant. Et toujours pour les spécialistes, la convention va plus loin en ouvrant la possibilité de cumuler intégralement un acte intellectuel de consultation avec un acte technique. Les rhumatologues par exemple pourront cumuler une consultation avec l’infiltration d’une articulation douloureuse.

On doit souligner également la simplification du forfait médecin traitant en y intégrant des indicateurs de santé publique, l’ouverture du contrat Optam [option de pratique tarifaire maîtrisée] aux médecins de secteur 1 titrés avant le 1er janvier 2013 et la création des équipes de soins spécialisés (ESS). Je salue la volonté de donner les moyens aux spécialistes de second recours de mieux s'organiser sur les territoires.

Quels sont vos regrets ?

À ce stade, nous n’avons pas atteint l’objectif numéro un de la lettre de cadrage du ministre qui était un vrai choc d’attractivité. Par ces revalorisations, nous avons corrigé en partie les effets de l’inflation, ce qui était indispensable. Mais il faudra rendre cette convention plus dynamique, avec des clauses de revoyure annuelles sur les tarifs et prévoir un espace de liberté tarifaire pour tous les médecins.

J’ai un autre regret qui concerne les actes techniques car l’Assurance-maladie a réintroduit le concept de valeur cible. Or, cette notion pollue tous nos débats. En 2005, lors de l’instauration de la CCAM, 8 000 actes se retrouvaient avec des tarifs inférieurs à cette valeur cible et 3 000 actes au-dessus. À l’époque, les syndicats avaient considéré qu’aucun acte ne devait être « perdant », donc moins bien payés, et avaient décidé de maintenir les tarifs des actes concernés. Vingt ans plus tard, en réintroduisant la fameuse valeur cible, quelque 8 000 actes comme l’épreuve d’effort, l’infiltration du canal carpien, la chirurgie des varices, risquent de ne pas bénéficier de coup de pouce supplémentaire. Je suis très inquiet sur la négociation du futur avenant CCAM.

L’élargissement de la cotation APC par les spécialistes a été un point de friction majeur entre les syndicats monocatégoriels MG France et Avenir Spé. Comment une centrale polycatégorielle comme la CSMF a géré ces tensions entre généralistes et spécialistes ?

Cela aurait pu, en effet, faire l’objet de tensions internes au sein de la maison de la CSMF. Mais cela n’a pas été le cas. Il n’y a pas eu le moindre esclandre car nous sommes, généralistes comme spécialistes, sur la même longueur d’onde. Nous sommes attachés au rôle que joue le médecin traitant et à la valeur expertale des spécialistes qu’il faut valoriser dans le parcours de soins. Aujourd’hui, l’accès aux spécialistes est difficile. Faisons en sorte que ces praticiens consultants puissent voir davantage de patients différents, dans le respect du parcours de soins. Cela veut dire que les médecins traitants leur adressent un message, mais en cas d’impossibilité, les médecins spécialistes leur font un retour. C’est ce qui se passe dans la vraie vie.

Quand j’ai vu arriver cette demande d’élargissement total de l’APC avec la possibilité pour les spécialistes de facturer cet acte sans aucune référence au parcours de soins, donc aux médecins traitants, j’ai été très inquiet. Cette attitude n’est pour moi qu’une opération de com’ de certains [Avenir Spé]. Cela a déclenché une guerre fratricide et a failli faire échouer les six mois de négociation. Cette affaire a pris des proportions délirantes pour rien. Pour calmer le jeu, nous avons proposé de revenir à l’écriture de la convention de 2016 en mettant quelques assouplissements. Finalement la raison l’a emporté. Je me réjouis de l’écriture intelligente du texte qui respecte le parcours de soins et de la volonté de faire évoluer ce sujet par un groupe de travail.

La convention prévoit des engagements collectifs sur l’accès aux soins et la pertinence des soins. Ne craignez-vous pas un retour de bâton si les objectifs ne sont pas atteints ?

Dans la nouvelle convention, il est clairement écrit que les engagements sur l’accès aux soins mais aussi sur la pertinence et qualité des soins sont collectifs et ne sont pas opposables individuellement. Le suivi de ces engagements par un observatoire ne pourra pas conduire à la réduction des rémunérations individuelles ou à modifier unilatéralement les termes de cette convention. Cette phrase est majeure ! Clairement, il n’y a pas de crainte individuelle à avoir. En revanche, devons-nous être préoccupés par ces engagements ? La réponse est oui.

En donnant notre accord, nous sommes parfaitement conscients des difficultés d’accès aux soins des Français ; donc cela obligera autant la Cnam que la profession à trouver des mesures correctrices pragmatiques si les objectifs ne sont pas atteints. Mais si d’aventure, nous ne sommes pas capables d’y répondre dans le cadre conventionnel, alors les parlementaires pourront prendre le relais pour imposer des solutions contraignantes. Ce n’est pas mon souhait.

Les règles du système conventionnel sont-elles à bout de souffle, comme le juge Frédéric Valletoux ? Comment les changer ?

Je suis très attaché au système de négociation conventionnelle. Mais ses règles qui datent de 1971 n’ont pas bougé. Le principe de fixer des tarifs immuables sur la durée du contrat de cinq ans rend plus difficile les négociations. En effet, les demandes légitimes de revalorisation des médecins sont importantes sur la durée de la convention… Et du coup, la hauteur de la marche est vécue comme trop grande de la part du gouvernement et l’Assurance-maladie. La CSMF est donc partante pour faire évoluer ces règles en prévoyant par exemple des clauses de revoyure annuelle des tarifs avec le principe d’engagements collectifs sur l’accès aux soins et la qualité de l’exercice.

Le système conventionnel dans son ensemble doit être modernisé afin de permettre aux syndicats représentatifs de participer à la construction de l’Ondam de ville [objectif national de dépenses maladie], voire de déclencher les négociations. Je pense qu’il faut aussi revoir les règles de représentativité issues essentiellement des élections professionnelles et ouvrir un espace de discussion interpro pour tout ce qui concerne le travail en équipe.

Propos recueillis par Loan Tranthimy

Source : lequotidiendumedecin.fr