Comment analysez-vous la montée des violences contre les professionnels de santé depuis le début de la crise sanitaire ?
Dr Pierre de Brémond d’Ars : Il y a dans notre société, depuis plusieurs années, une perte de confiance vis-à-vis de beaucoup d’institutions, qu’elles soient scientifiques, ordinales, politiques… Et la crise a entraîné une désorganisation complète au niveau de l’information et de la communication, couplée avec une peur des gens pour leur propre santé. Quand on a peur, on cherche des réponses. Or la communauté scientifique ne peut souvent apporter que des réponses complexes, grises plutôt que blanches ou noires. Certaines personnes se sont donc tournées vers des sources qui leur donnaient des réponses simples et rassurantes. Des communautés se sont créées dans des réseaux fermés où la désinformation est auto-entretenue, ce qui a conduit ceux qui en font partie à une forme de radicalisation : leur parler de vaccin, c’est comme leur dire qu’on va les mettre à mort. C’est ce climat qui a rendu possible certaines violences.
Mais cette radicalisation ne touche qu’une faible partie de la société…
Dr P. de B. d’A. : Oui, c’est pour cela qu’on peut rapprocher le phénomène de celui des dérives sectaires. On a laissé s’installer une certaine désinformation ; on a mis sur le même plan, dans les médias, des informations vérifiées et des gens qui racontaient n’importe quoi, et c’est ce qui progressivement amène certaines personnes à dériver. Mais il reste heureusement une forme d’esprit critique car, si les personnes qui se déclarent antivax, par exemple, croyaient ne serait-ce que 10 % de ce qui est transmis sur certains réseaux, ce serait la guerre civile ! La désinformation est, en réalité, le fait d’un très petit nombre de sources, qui sont amplifiées par la suite. Le rôle du collectif No Fakemed est justement de lutter contre ces désinformateurs.
Comment expliquer le passage de la désinformation à la violence ?
Dr P. de B. d’A. : Le passage à l’acte est individuel et c’est l’analyse juridique effectuée par un juge qui permet d’en décortiquer les causes. Mais le fait d’accepter que certaines personnes fassent de l’audimat sur les peurs des gens, cela fait le lit des violences, et ce n’est pas uniquement français. On a observé une radicalisation dans d’autres pays, où il y a aussi eu des agressions physiques.
Comment agir face à ce phénomène de dérive ?
Dr P. de B. d’A. : Il y a tout un travail à effectuer pour retisser de la confiance : la majorité des gens sont perdus, n’ont pas de message clair. Journalistes et scientifiques doivent s’interroger sur la manière dont ils diffusent l’information scientifique. Il y aura d’autres crises après celle-ci et le problème continuera à se poser.
« La désinformation est le fait d’un très petit nombre de sources »
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