La généraliste victime d’une agression, le 12 août, dans son cabinet médical des quartiers Nord de Marseille, est arrivée quelques minutes avant l’audience, en rasant les murs, sous l’œil des caméras. Le visage fermé, les cheveux coiffés en chignon strict, la médecin âgée de 35 ans semble dépassée par le retentissement médiatique de cette affaire. Elle souhaite rester anonyme et ne pas s’exprimer devant la presse.
À ses côtés, le Dr Saïd Ouichou, médecin généraliste dont elle est la collaboratrice, tout comme le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône de l’Ordre des médecins, se sont constitués partie civile dans ce procès, où rien ne se passe comme prévu.
La présidente du tribunal connaît la plaignante !
L’après-midi, c’est le jeu des comparutions immédiates. Dès son entrée dans la salle d’audience, en voyant le visage de la généraliste assise en face d’elle sur le banc des parties civiles, la présidente du tribunal a un doute. Les échanges par l’intermédiaire de la greffière et de l’avocat de la plaignante ont rapidement permis de confirmer l’improbable, à savoir que les deux femmes se connaissent déjà : elles étaient dans la même classe, en seconde, au lycée à Marseille, vingt ans plus tôt.
Alors, vers 17 heures, quand le tribunal s’apprête enfin à juger ce fait divers qui a ébranlé la communauté médicale, la présidente quitte la salle (pour se déporter de cette affaire) et se fait remplacer au pied levé par une autre magistrate… qui découvre le dossier. La prévenue, une jeune femme de 19 ans, avait été interpellée seulement lundi 26 août, quinze jours après l’agression dont a été victime la généraliste, qui a déposé plainte dans la foulée.
Une affaire d’ordonnance
La médecin généraliste raconte que le lundi 12 août, vers 19 heures, deux patientes, âgées de 19 et 11 ans, se sont présentées à son cabinet, situé dans le 15e arrondissement de Marseille, pour demander la délivrance d’une ordonnance, une prise de sang pour sa belle-mère.
Selon le parquet, « la médecin a accepté dans un premier temps de rédiger cette ordonnance, avant de se raviser et de jeter le document à la poubelle, indiquant qu’elle devait examiner la patiente concernée après avoir consulté son dossier médical ». D’après cette même source, la généraliste affirme avoir été frappée au visage, tirée par les cheveux, mordue dans le dos et avoir reçu des coups de poing alors qu’elle tentait de s’opposer aux deux patientes, qui voulaient récupérer l’ordonnance. Une incapacité totale de travail (ITT) de trois jours lui a été délivrée par l’unité médicojudiciaire de Marseille.
« Au cours de leurs auditions, et de la confrontation mettant en présence la médecin et la jeune majeure, les mises en cause admettaient une altercation tout en ayant des éléments de divergence avec la version de la victime », résume le parquet de Marseille. Celui-ci a requis le placement en détention provisoire de la jeune femme de 19 ans, poursuivie pour violences ayant entraîné une ITT inférieure à huit jours commises en réunion et sur un professionnel de santé.
L’agresseure présumée est connue de la justice. Cette jeune majeure avait déjà été condamnée par le Tribunal pour enfants à une mesure éducative pour des faits de « violence avec arme sans incapacité, port d’arme de catégorie D, dégradation du bien d’autrui par moyen dangereux, dégradation de bien appartenant à autrui, violences sur personne chargée d'une mission de service public sans incapacité ». Elle était par ailleurs en attente d’un autre jugement, début septembre, devant le tribunal correctionnel de Marseille, pour des faits de « violence avec arme sans incapacité, violence par conjoint ou concubin de la victime sans incapacité et dégradation d’un bien appartement à autrui ».
Le tribunal a renvoyé ce procès au 3 octobre. Il a aussi décidé le maintien de la prévenue en détention provisoire et a ordonné une expertise psychologique pour mieux comprendre sa personnalité.
Engouement médiatique excessif ?
« Tout ce qui a été dit depuis quinze jours sur ce dossier et relayé dans les médias ne reflète pas la réalité de ce dossier », a déclaré de son côté son avocat, Me Karim Bouguessa, du barreau de Marseille, qui considère que « l’engouement médiatique n’était pas justifié ». « C’est ce qui a contribué à ce que ma cliente ne se présente pas aux services de police puisqu’elle a eu cette impression d’être jugée coupable avant même de s’expliquer », a-t-il argumenté.
Sur le fond, Me Bouguessa a fait part du parcours de « vie chaotique » de sa cliente, qui vit là sa première incarcération. « C’est une jeune fille qui a grandi en foyer, qui a été victime de faits de violence lorsqu’elle était toute jeune et c’est ce qui avait conduit les juges pour enfants à se saisir de sa situation », explique-t-il.
Généraliste « brisée, perdue »
À l’issue de l’audience, l’avocat des parties civiles, Me Bruno Lefebure du barreau de Marseille, a salué la décision du maintien en détention provisoire. « Ma cliente était dans la réalisation de son rêve qui est en train de s’écrouler. Elle a fait des études longues, elle s’est vraiment accrochée pour en arriver là », a renchéri Me Lefebure. La généraliste, qui se retrouve sous les projecteurs et plongée dans un imbroglio judiciaire, est « brisée, totalement perdue et elle ne sait plus ce qu’elle doit faire », poursuit son avocat, précisant qu’« elle fait l’objet d’un arrêt de travail de 30 jours et d’une ITT de 30 jours ».
Cette ancienne étudiante à Marseille a passé sa thèse de médecine seulement l’an dernier. Elle venait de signer son premier contrat de collaboration dans ce cabinet, où elle avait déjà remplacé le Dr Saïd Ouichou. Ce dernier assure désormais seul l’activité alors même que les locaux peuvent accueillir deux voire trois médecins. « Il y a une forte demande des habitants », souligne ce médecin qui était en vacances lorsque l’agression de sa collègue a eu lieu et qui exerce dans les quartiers Nord depuis dix-huit ans. Pour lui, l’important est de « pouvoir lui rendre justice ». Ensuite, « dans un deuxième temps, il faudra mettre en place des mesures de sécurité pour qu’elle puisse reprendre son activité et que nous, autres soignants, puissions travailler en toute sécurité dans les locaux ».
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