LE QUOTIDIEN : Ces élections professionnelles sont-elles différentes de celles de 2015 ?
PATRICK HASSENTEUFEL : Oui, à plusieurs titres. Ce scrutin se déroule dans un contexte sanitaire qui n'a pas permis aux syndicats de mener leur campagne comme lors des précédentes élections. Ce qui pose la question de la participation électorale. En 2015, en pleine protestation des médecins contre le tiers payant généralisé, le taux de participation avait été de nouveau en baisse (40 % contre 44,6 % en 2010 et 53 % en 2000, NDLR). En pleine épidémie, les médecins se sentiront-ils concernés par cet enjeu électoral ? Je n'en suis pas certain.
La deuxième différence est liée au passage à deux collèges seulement – généralistes et spécialistes – contre trois en 2015. Ce changement s'est accompagné d'une modification majeure chez les spécialistes avec l'alliance entre Avenir Spé, né d'une scission de la CSMF, et Le BLOC, majoritaire en 2015 dans le collège séparé des plateaux techniques lourds [chirurgiens, anesthésistes et obstétriciens]. Quel sera le poids de cette nouvelle union syndicale dans le deuxième collège unifié alors que la CSMF était arrivée en tête avec 40,6 % des voix chez les spécialistes [hors plateaux techniques] ? Enfin, autre différence : l'irruption de l'UFML qui a présenté des listes presque partout dans les deux collèges. Avec un président très médiatique et un positionnement contestataire, ce syndicat pourrait bénéficier d'une dynamique. Et l'importance de son score aura un impact sur les futures négociations conventionnelles.
La balkanisation des syndicats ne va-t-elle pas nuire à la médecine libérale ?
Ce n'est pas nouveau ! La FMF est née d'une scission avec la CSMF. La création du SML a eu lieu en 1981 autour des médecins de secteur II. MG France est en partie issu de la CSMF. Bref, la fragmentation syndicale déjà constatée se poursuit ! Plus il y a de syndicats, plus il est compliqué de trouver un terrain d'entente avec les pouvoirs publics. Si, dans ce scrutin, MG France reste en tête dans le collège des généralistes et Avenir Spé/Le BLOC prend le leadership dans celui des spécialistes, cela risque de renforcer la division du corps médical – généralistes d'un côté et spécialistes de l'autre, lors des négos conventionnelles. Face à cette situation, la CNAM pourrait être tentée de régler certains enjeux par la négociation… interprofessionnelle, qui prend déjà une place croissante, au détriment des accords mono-professionnels. Cela ne fera pas forcément l'affaire des médecins.
Que faut-il s'attendre pour la prochaine convention ?
Je constate que les revendications ne sont guère tournées vers l'avenir. Finalement, à l'exception de Jeunes médecins, présent dans quelques très rares régions, tous les autres – y compris l'UFML qui se dit contestataire – en restent à des positions traditionnelles assez peu tournées vers les nouvelles générations.
On retrouve dans les professions de foi la défense du paiement à l'acte, des augmentations tarifaires, l'affirmation forte de l'exercice libéral et la préservation du pouvoir médical face aux délégations de tâches. Il n'y a pas réellement une volonté de se projeter pour transformer en profondeur l'exercice libéral, sauf peut-être le projet de la CSMF même si son concept de cabinet 2030 est un peu flou. En réalité, la vision du futur ne semble pas être considérée comme la stratégie électorale la plus payante.
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Patrick Hassenteufel, Professeur de science politique (Université de Versailles Saint-Quentin)
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