Exercice illégal de la médecine : les ophtalmos du SNOF gagnent une manche contre Ophta City, le bras de fer continue

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Publié le 05/12/2019

Crédit photo : S. Toubon

La guérilla se poursuit entre la société Ophta City, installée à Dunkerque (Nord), où des opticiens et optométristes réalisent des mesures et examens visuels, et le Syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF), qui lui reproche d'exercer illégalement la médecine. Dans un arrêt, la Cour de cassation vient de donner partiellement raison au SNOF, mais sans prononcer pour autant de peine d'interdiction d'exercice à l'encontre de la société Ophta City qui entend poursuivre les démarches judiciaires. 

Compétence médicale

L'affaire avait débuté après une enquête de l'agence régionale de santé (ARS), visant la SARL E-Ophta dite Ophta City, à la suite de laquelle le SNOF, l'Ordre des médecins et la CPAM locale avaient porté plainte devant le tribunal correctionnel de Dunkerque, pour exercice illégal de la médecine. Selon leurs arguments, cette société, composée d'opticiens et d'optométristes, fait utiliser à son personnel non-médecin « des appareils nécessitant des compétences médicales ». Condamnée à une amende de 30 000 euros en 2017 et à verser 17 600 euros à la CPAM, la société dunkerquoise interjette appel.

En 2018, la cour d'appel de Douai (Nord) donne cette fois raison à Ophta City, la relaxant du délit d'exercice illégal de la médecine et rejetant les demandes d'indemnisation. Elle estime que la transmission des résultats des examens réalisés par les opticiens et optométristes à un ophtalmologiste pour délivrer la prescription suffit à écarter la notion d'exercice illégal. Les juges rappellent aussi que les opticiens peuvent adapter eux-mêmes des prescriptions, dans le cadre d'un renouvellement de correction.

Un pourvoi en cassation est formé par les ophtalmologistes du SNOF. Dans son arrêt du 19 novembre, la Cour de cassation (qui statue sur des aspects de droit) annule la décision de la cour d'appel mais uniquement sur la partie des demandes d'indemnisation. En effet, la relaxe du délit d'exercice illégal est considérée comme définitive – le procureur général n'ayant pas suivi le pourvoi en cassation.

Valeur ajoutée

Dans sa décision, la Cour estime que l'activité d'Ophta City n'est pas dans les clous. « La mesure de la tension intraoculaire et la topographie cornéenne qui peuvent être effectuées par des ophtalmologistes, ou sous la responsabilité de ceux-ci et sur leur prescription, par des orthoptistes, sont des actes médicaux car ils prennent part à l'établissement d'un diagnostic, rappelle-t-elle. (...) La société E-ophta ne comprenait que des opticiens-lunetiers et des optométristes, lesquels réalisaient divers examens et commandaient les lunettes avant toute prescription. » Pour la haute juridiction, le personnel d'Ophta City « diagnostique donc des troubles de la vision et ne procède pas à une simple collecte de données ».

Pour le SNOF, cette décision est une « bonne nouvelle pour toute la filière médicale, notamment visuelle, et pour les patients », en protégeant l'exercice médical de la profession. « Elle permet d’apporter une réponse claire, en considérant le diagnostic comme un acte médical devant être réalisé par un médecin. Les opticiens doivent avant tout se concentrer là où ils amènent de la valeur ajoutée : la délivrance des équipements optiques, sans perte de chance médicale pour le patient », analyse le Dr Thierry Bour, président du SNOF.

Vision passéiste ?  

Les avocats d'Ophta City estiment, eux, que la position de la Cour est « restrictive et ambiguë » et jugent la position du SNOF comme une vision « passéiste » du métier. « Le diagnostic n'est pas réservé aux seuls médecins, dans le code de la santé publique, il est fait mention de diagnostic pour les infirmiers ou les masseurs-kinésithérapeutes », indiquent Mes Omar Yahia et Jean-Luc Tissot.

Ils envisagent le dépôt d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur la définition de l'exercice illégal de la médecine. La cour de justice de l'Union européenne (CJUE) pourrait être saisie, le droit européen étant « moins restrictif ».

En attendant, l'arrêt de la Cour de cassation renvoie les deux parties devant la Cour d'appel de Douai.


Source : lequotidiendumedecin.fr