Pr Delphine Mitanchez (Société française de médecine périnatale) : « Il faut repenser notre système de soin périnatal »

Par
Publié le 15/09/2023
Article réservé aux abonnés

Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : La mortalité infantile repart à la hausse en France depuis 2012 et progresse en moyenne chaque année de 0,04 décès pour 1 000 naissances, estime une étude du Lancet. Comment analysez-vous cette tendance ?

Pr DELPHINE MITANCHEZ : La hausse concerne surtout la mortalité néonatale précoce (47,8 % des décès sont survenus pendant cette période, et notamment le premier jour [24,4 %], NDLR). Mais elle est difficile à interpréter. En France, les bases de données ne sont pas adaptées à l’étude des causes. Les données sont dispersées dans différentes bases sans interconnexion (état civil, certificats de décès, relevés hospitaliers) et certaines ne sont pas collectées.

Les chercheurs ne disposent pas systématiquement de précisions sur les facteurs socio-économiques ou sur la santé des mères, alors que la précarité, l’obésité ou le tabagisme par exemple sont connus pour être des facteurs de risque de grossesse compliquée. L’impossibilité en France de disposer de données sur l’ethnie limite aussi l’analyse. Migration, précarité et facteurs de risque médicaux sont souvent liés. Ce n’est pas un hasard si le taux de mortalité infantile est plus élevé en Seine-Saint-Denis.

Depuis la publication du Lancet, les sociétés savantes et l’équipe Épopé (Équipe de recherche en épidémiologie obstétricale périnatale et pédiatrique - Inserm/université Paris-Descartes) plaident pour la création d’une base de données exploitable.

Les questions d’organisation de la prise en charge et de taille critique des maternités sont-elles aussi en jeu ?

Il faut en effet interroger l’organisation et se comparer aux autres pays européens qui ont de meilleurs résultats. Tous les pays n’ont pas le même ratio soignants/patients dans les services de soins critiques en néonatalogie.

Il nous faut revoir notre système de soin périnatal, notamment l’efficacité des transferts in utero ou le repérage des situations à risque sur le plan psychosocial. La question des conditions de travail dans les maternités doit être posée, en particulier le manque d’effectif qui touche toutes les catégories professionnelles (sages-femmes, obstétriciens, anesthésistes, pédiatres…). Les équipes travaillent déjà en réseau, mais la communication est sans doute à renforcer, ainsi que les structures psychosociales, d’accompagnement et de suivi.

Dans une tribune publiée en mars 2023, plusieurs sociétés savantes, dont la nôtre, et une association de patients* appelaient à des Assises nationales de la périnatalité, afin de conduire une réflexion et d’aboutir à des mesures.

Des initiatives comme le projet Rémi peuvent-elles participer à l’amélioration de la prise en charge ?

C’est un projet très intéressant qui montre qu’un accompagnement adapté des mères donne des résultats, mais ce n’est pas applicable en tant que tel partout. L’Île-de-France dispose d’une grande densité de structures. Ailleurs, c’est plus compliqué : les structures manquent, le maillage existant est défaillant. C’est une véritable inégalité territoriale. Les solutions doivent prendre en compte les réalités locales.

Mais l’analyse et l'amélioration des situations locales réclament des moyens que les services n’ont pas. Indépendamment de la méthode à adopter, c’est la clé du problème. On ne peut pas nous demander d’éteindre le feu sans nous donner les moyens d’y parvenir.

Propos recueillis par E.B.

Source : Le Quotidien du médecin