Moins représentées dans les essais cliniques, moins bien prises en charge pour certaines pathologies, etc. : les femmes ont longtemps été le parent pauvre de la santé. Mais depuis quelques années, les lignes commencent à bouger, avec de plus en plus de travaux de recherche dédiés. Et même si le sujet fait encore débat, peu à peu le portrait de la “patiente femme” se dessine, avec l’émergence de particularités sémiologiques mais aussi physiopathologiques ou thérapeutiques.
« Hommes et femmes ne sont pas égaux devant la maladie et doivent donc être traités différemment. » En 2016, l’Académie de médecine appelait la médecine et la recherche à ne plus ignorer les différences entre les sexes, faisant ainsi écho à une préoccupation croissante du monde de la santé.
Près de trois ans plus tard, où en est-on ? Le constat est mitigé. D’un côté, le portrait de la “patiente femme” se précise, avec l’émergence de données mettant en évidence des spécificités féminines épidémiologiques mais aussi physiopathologiques, sémiologiques voire thérapeutiques. Mais de l’autre, l’idée d’une médecine différenciée se heurte encore à de nombreux stéréotypes et suscite toujours un débat épidermique avec ceux et celles qui, au nom de l’égalité, réfutent toute différence autre que celle du genre, imposée par la société ou l’éducation.
Il est vrai que les déterminants expliquant les différences hommes/femmes en matière de santé sont enchevêtrés. Outre le bagage génétique, l’épigénétique entre en ligne de compte puisque « dans tous les tissus, 30 % des gènes des hommes et des femmes s’expriment différemment », explique l’académicienne Claudine Junien, professeure émérite de génétique. Le genre (construction sociale et culturelle des identités féminine et masculine) intervient aussi en induisant des comportements qui influencent directement la santé et jouent aussi sur l’épigénétique.
Dans ce contexte, « difficile de séparer le biologique de ce qui relève de l’environnement socioculturel, analyse la neurobiologiste Catherine Vidal, coresponsable du groupe de travail “genre et recherche en santé” du comité d’éthique de l’Inserm depuis 2013. Sans compter les facteurs sociaux (précarité économique et renoncement aux soins, plus marqués pour les femmes) qui conduisent aussi à une discrimination dans la prise en charge médicale. »
Au-delà de la « médecine bikini »
Pour autant, qu’elles soient innées ou acquises, biologiques ou construites, les particularités féminines en matière de santé commencent à se dessiner, y compris pour les affections qui ne relèvent pas de ce que Claudine Junien appelle la « médecine bikini », réduite aux seuls seins et appareil reproducteur.
Au-delà du simple inventaire des pathologies touchant plus volontiers le sexe « faible », la recherche commence à s’intéresser aux processus physiopathologiques pouvant expliquer les disparités observées, « même s’il est encore globalement considéré que rechercher des mécanismes différenciés revient à étudier un épiphénomène… », sourit Jean-Charles Guéry, directeur de recherche à l’Inserm (centre de physiopathologie de l’hôpital Purpan, Toulouse). Son équipe est l’une des rares en France à s’intéresser spécifiquement, depuis dix ans, aux différences liées au sexe dans les maladies immunitaires.
Alors que l’épidémiologie témoigne d’une surreprésentation féminine (hors diabète de type 1, 8 personnes/10 atteintes d’une maladie auto-immune sont des femmes), leurs travaux ont mis en évidence un mécanisme immunitaire différencié, qui implique des hormones et des gènes liés aux chromosomes sexuels. Si l’asthme allergique est plus fréquent chez les filles après la puberté, c’est que les garçons apparaissent mieux protégés par les hormones mâles, les androgènes agissant via leurs récepteurs pour contrôler le développement de cellules lymphoïdes innées (ILC2), sentinelles du système immunitaire. Si les femmes sont plus touchées par le lupus érythémateux systémique (SLE), cela pourrait reposer sur un récepteur clé de l’immunité anti-virale, connu pour favoriser le SLE et porté par le chromosome X : le TLR7, qui se trouverait surexprimé à la suite d'un défaut d’inactivation sur l’un des deux X. On n’en n’est pas à produire des traitements personnalisés. Mais les publications ont au moins révélé que les mécanismes sexués du système immunitaire ne sont pas un épiphénomène et qu’il y aurait bien une prédisposition féminine.
De même, l’idée d’une vulnérabilité accrue à certains toxiques comme le tabac (voir encadré) mais aussi la pollution fait son chemin, venant éclairer d’un nouvel œil la poussée en population féminine de certaines pathologies comme la BPCO. Aujourd’hui, 40 % des patients atteints de BPCO sont des patientes, quand la proportion était de 20 % il y a 20 ans. Certes, l’explosion du tabagisme féminin, qui a presque rattrapé celui des hommes, y est pour beaucoup, mais cela n’explique pas tout et les hormones joueraient aussi un rôle. Des travaux en cours ont mis en évidence « une potentielle mutation de récepteurs aux œstrogènes qui expliquerait qu’à polluant égal, la toxicité pulmonaire est plus importante pour les femmes », détaille le Pr Chantal Raherison-Semjen, pneumologue au CHU de Bordeaux.
Autre particularité féminine en matière de BPCO : une symptomatologie volontiers trompeuse ou a minima. Sans que l’on puisse la chiffrer de façon précise, une forte proportion de femmes concernées serait asymptomatique. Lorsque la maladie s’exprime, le tableau clinique comporte moins d’expectorations et de toux diurnes, mais davantage de toux nocturnes, de dyspnée et de fatigue. Ainsi, « combien de patientes qui ont consulté fatiguées, essoufflées, déprimées, me racontent leur parcours du combattant, et combien restent encore sur le bord de la route du diagnostic parce qu’on ne pense pas à une pathologie respiratoire, se désole la pneumologue. Beaucoup ont encore cette image figée de la BPCO, considérée comme une affection du fumeur (mâle, NDLR) âgé. Or, les données de santé publique et d’hospitalisations pour exacerbations le montrent : le nombre de femmes atteintes dès 35 ans augmente de manière constante. »
L’art du camouflage
Autre exemple de sémiologie spécifique, l’autisme féminin, qui « s’exprime d’une manière différente », alerte Marie Rabatel, co-fondatrice il y a trois ans de l’Association francophone des femmes autistes (AFFA) pour les sortir de l’oubli médical. Le tableau est souvent plus discret chez la jeune fille que chez le garçon. Stéréotypies et rituels rassurants sont davantage dissimulés, l’isolement et l’agitation moins marqués, avec des centres d’intérêts en apparence plus ordinaires, etc.
Pourquoi ces différences ? L’explication serait pour partie sociétale : influencée par une éducation différenciée, la femme aurait davantage tendance à camoufler ses symptômes pour coller à la norme sociale. Mais une étude d’imagerie cérébrale publiée en octobre 2018 suggère aussi un fonctionnement cérébral différent chez les femmes autistes.
Quoi qu’il en soit, le diagnostic d’autisme s’appuyant sur des grilles d’évaluation fondées sur les symptômes masculins, 90 % des filles et femmes adultes souffrant d’un trouble du spectre autistique ne seraient pas diagnostiquées, s’insurge Marie Rabatel.
Explorations trompeuses
Mieux documentées, les spécificités de la maladie coronaire féminine ne sont pas forcément mieux prises en compte. « Chez la femme, l’infarctus survient le plus souvent comme un coup de tonnerre dans un ciel sans nuage », alerte le Pr Claire Mounier-Véhier (cheffe de service au CHRU de Lille et présidente de la Fédération française de cardiologie), avec des signes avant-coureurs que l’on peut facilement négliger : fatigue inédite à l’effort, palpitations inhabituelles au repos comme à l’effort, troubles digestifs répétés (difficulté de digestion), nausées, angoisse croissante… Et quand chez l’homme, la classique douleur thoracique irradiant dans le bras gauche est souvent présente, les signes féminins vont de l’extrême fatigue avec fourmillements dans les extrémités à une gêne dans la poitrine et le cou avec difficulté à respirer. Un tableau volontiers mis sur le compte d’une anxiété ou d’une dépression, alors que « les femmes connaissent leur corps et savent très bien identifier des signaux inhabituels ». De plus, « l’accident cardiaque féminin est sournois. On peut aisément passer à côté avec un ECG et des tests d’effort normaux, car ce sont les petites artères coronaires qui sont bouchées ».
D’où un retard diagnostique fréquent, alors que les maladies cardiovasculaires restent la première cause de décès en population féminine et que les hospitalisations de patientes de moins de 50 ans pour infarctus progressent de près de 5 % par an.
« Avant que les femmes ne soient trop vite renvoyées de consultation, voire des urgences, soupçonnées d’être angoissées ou dépressives quand elles se plaignent de fatigue, nausée persistante et/ou troubles digestifs, il reste encore du chemin », estime le Pr Mounier-Véhier, tout en reconnaissant « que le message commence à se diffuser ».
Aux États-Unis, où l’American Heart Association a édicté ses premières recommandations pour la prévention des maladies cardiaques chez la femme en 2004, « on observe enfin un infléchissement de la courbe de la mortalité cardiovasculaire féminine ». Avec retard, la France suit le mouvement. Alors que l’hypertension apparaît depuis dix ans moins dépistée et moins contrôlée chez les femmes, la Société française d’hypertension artérielle vient ainsi de publier 14 recommandations spécifiquement dédiées à l’HTA féminine.
Des réponses thérapeutiques spécifiques
Au-delà de ces spécificités diagnostiques, la littérature met peu à peu en évidence certaines inégalités thérapeutiques.
Toujours dans le domaine de la cardiologie, une étude de l’école de médecine de Stony Brook (NYC) déjà ancienne a ainsi démontré qu’en prévention primaire, l’aspirine fait mieux chez la femme que chez l’homme vis-à-vis de l’AVC mais moins bien en termes de protection cardiaque ! Tout aussi inattendu, « les femmes répondent mieux que les hommes au vaccin contre la grippe, produisant autant d’anticorps avec une demi-dose », illustre Jean-Charles Guéry. Plusieurs études ont par ailleurs montré qu’à traitement identique et à observance similaire, les patientes diabétiques répondent moins bien aux statines.
Tous médicaments confondus, les femmes seraient également deux fois plus victimes d’effets secondaires que les hommes, faute notamment d’être suffisamment présentes dans les essais cliniques. Pour en finir avec cette discrimination, la FDA réclamait dès 1997 que les essais incluent systématiquement des femmes. L’Union européenne a fait de même il y a 15 ans. Une étude qui vient d’être publiée a évalué les progrès en la matière. Aux États-Unis, leur participation a effectivement progressé : elles constituent la moitié des effectifs recrutés pour des molécules qui n’ont pas d’indication sexuée. Au niveau international, sur la totalité des essais portant sur les molécules approuvées entre 2015 et 2016, les femmes représentaient 43 % des participants seulement, leur proportion variant de 76 % en ophtalmologie à 0 % en imagerie !
Ainsi, si les lignes bougent, les avancées sont lentes et les stéréotypes tenaces. Pourtant, il est temps d’agir, sous peine de priver les femmes de chances en matière de santé voire d’espérance de vie. Du reste, selon l’Institut national démographique, entre 2017 et 2018 celle-ci a déjà reculé, perdant 0,1 an...