Anapath/IA, le choc des images

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Publié le 15/10/2018
L'anapath est le nouveau terrain de jeu de l'IA en santé. La preuve du concept a même été validée en 2017 par la FDA. Pour une fois, l'Europe est présente sur ce marché porteur. Enquête.

Y aura-t-il un avant et un après le 12 avril 2017 ? Ce jour, l'intelligence artificielle fait une entrée fracassante sur le marché de l'anapath (Anatomie et cytologie pathologiques) avec l'agrément accordé pour la première fois par la FDA à Philips pour un premier avis de lame numérique. Il devrait être obtenu prochainement au niveau européen. Pour Philips, « les laboratoires français doivent absolument prendre ce virage numérique pour bénéficier au plus vite des nombreux bénéfices patients et professionnels apportés par la technologie et afin de se préparer à l’adoption en routine clinique des futurs outils d’analyses apportés par l’IA » », indique Pascal Dussert, directeur Healthcare Informatics chez Philips. La stratégie du constructeur est de fédérer « un écosystème en développant sa stratégie vers les organes les plus touchés par le cancer, à savoir le sein, le poumon ».

Selon Frédérique Capron* (PU PH consultante à la Pitié Salpêtrière), « la FDA acceptait des lames numériques sur un deuxième avis. Mais refusait que le diagnostic de première intention soit réalisé sur des lames numérisées. Cette situation a changé depuis que Philips est arrivé. »

Les avantages apportés par la technologie Philips et par la lecture possible en premier avis seraient nombreux. Face à la charge de travail croissante des anapaths et avec l'hétérogénéité des colorations obtenues sur les lames, la lame numérique a été reconnue comme étant plus précise que celle faite avec des microscopes classiques. Certains experts conteste cette affirmation. Ainsi, elle permettra aussi aux équipes soignantes de se relier aux réseaux des laboratoires. De plus, les dossiers des patients sont consultables plus rapidement grâce aussi à l'avis du pathologiste consulté à distance.

Avant même son agrément, Philips a reçu le soutien de l'Institut Curie. Ce dernier est devenu le centre de référence du constructeur pour la France. Avec les premiers obstacles dans le processus de mise en place de ces nouvelles technologies, l'enthousiasme a parfois été un peu douché.

Premier problème, le stockage des données nécessite une place considérable est souligné par le Pr Bertheau, chef du service de pathologie de l'hôpital Saint-Louis (AP-HP) : « En 2005, avec 100 lames, nous aurions totalement bloqué le SIH. Aujourd'hui, nous pouvons aller jusqu'au téraoctet, soit 1 000 lames, et seulement deux jours de lames réalisées. » Catherine Guettier, chef du service de pathologie du site de Béclère, qui vient de passer son service au tout-numérique pour les lames d'immunofluorescence, s'est vue pour sa part attribuer 23 teras, soit au maximum deux semaines de lames numériques. Au-delà, il faudra les jeter, avec la possibilité d'en garder une ou deux en réserve pour le suivi des patients. Précision, les lames physiques seront toujours conservées en stock.

Deuxième réserve, , la compatibilité de format d'images avec d’autres systèmes de visualisation déjà commercialisés comme Openslide par exemple. En guise de réponse, Philips dit utiliser un format de stockage pour compresser sans perte les volumes de données permettant de réduire par 2,5 l’espace de stockage. Et rappelle qu'Openslide peut réclamer l'interfaçabilité du format Philips, ce que cette société n'a pas demandé.

Absence de compatibilité ?

Selon le Pr Jean-Yves Scoazec (IGR) qui abonde dans ce sens, la technologie Philips oblige le client à racheter un autre scanner s'il est déjà équipé. Pis, le système doit encore démontrer sa capacité à communiquer facilement avec le système de gestion de laboratoire en liaison avec le SIH. Philips pour sa part souligne que sa solution est interfacée avec plus de 50 systèmes de gestion de laboratoire. Tout ceci traduit le fait qu'en pathologie, contrairement à la radiologie où le numérique s'est substitué à l'argentique, on ajoute une couche numérique, puisque l'étape première des lames physiques ne peut pas être abandonnée.

Face à ces critiques, André Nicolas (Institut Curie) en relativise l'importance : « On ne va pas rentrer dans le débat pour savoir qui serait pro Apple ou pro Samsung ! Le Philips Digital Pathology scanne vite et bien. Dans notre expérience à l’Institut Curie, le logiciel Philips IMS communique avec le système de gestion du laboratoire. De plus, le constructeur propose le dans sa nouvelle version le format image Dicom bien connu en radiologie et plus léger qui sera plus facile à partager. Et leur service après-vente est très réactif. »

Déterminer la prédiction de la survie

Face à la suprématie de Philips, certaines start-up − françaises − tirent toutefois leur épingle du jeu. IIllustration avec Owkin qui développe la plateforme logicielle Socrate et s'intéresse au cancer du foie et au mésothéliome notamment. Contrairement à Philips, Owkin a décidé de ne pas se spécialiser dans un type de cancer particulier ni de se focaliser sur le diagnostic, mais plutôt sur la recherche clinique. La stratégie de cette start-up s'est orientée vers des outils d'augmentation des capacités des médecins chercheurs, par exemple pour améliorer la prédiction de la survie. (Confère encadré mésothéliome).

Détecter les cellules immunitaires

Owkin est allée même plus loin en prédisant des anomalies génétiques présentes au sein d'une tumeur uniquement à partir de données d'imagerie et en laissant à la machine le soin de générer des hypothèses. Une des applications possibles est le développement d'un nouveau test diagnostique compagnon afin d'identifier au mieux les patients pouvant bénéficier du Keytruda®, une immunothérapie préscrite dans de nombreux cancers. Mais l'idée n'est pas seulement de développer un modèle ayant de bonnes performances. En effet, l'accent est également mis sur le caractère interprétable du modèle. Par exemple, au sein d'une image, le système d'Owkin peut indiquer les éléments qui ont été déterminants pour distinguer les bons des mauvais répondeurs. Dans le cadre de l'immunothérapie, la technique permet également de repérer différents types de cellules immunitaires  autour de la tumeur, ou étudier et réduire les EIG encore trop fréquents.

Les partenariats noués avec les centres hospitaliers et les établissements publics spécialisés dans la recherche médicale sont nombreux. Un partenariat avec l'Inserm a notamment été signé en avril dernier. Owkin ne demande pas d'investissements ni de contribution financière à ses partenaires. Elle installe ses machines et algorithmes directement à l'intérieur des hôpitaux pour travailler sur les données patients. Cette méthode permet d'éviter d'entrer dans la procédure complexe d'agrégation et d'anonymisation des données. Grâce à une nouvelle levée de fonds de 5 millions de dollars en mai 2018 par le fonds d'investissement de Google, Owkin poursuit son expansion.

 

Grader la sévérité des cancers de la prostate

Le système d'une autre start-up, cette fois suédoise, Context Vision, est utilisé par le centre hépato-biliaire de l'hôpital Paul-Brousse (94). Il permet de grader la sévérité et l'agressivité du cancer pour les biopsies de prostate. Pour un simple dosage PSA, il faut réaliser 24 biopsies et les screener toutes, ce qui représente un travail d'obervation considérable rien que pour un seul patient. Les carottes biopsiques sont recensées par le logiciel avec des couleurs allant du jaune (bénin) en passant par l'orange (cancer de bas grade) au violet noir (grade très élevé). Elles fournissent la longueur et la surface de la tumeur, ce qui allège le travail. Catherine Guettier fait partie également de ces pionnières de la lame numérique avec son premier scanner numérique installé en 2007. Son service installé sur le site de Béclère réalise 700 lames par jour. Il prend en charge l'activité chirurgicale de Paul-Brousse, premier site de transplantation hépatique français, le troisième en Europe et ayant aussi une grosse activité de chirurgie hépato-biliaire, donc extemporanée. Depuis 2013, les examens extemporanés (au cours de l'opération) de Paul-Brousse sont réalisés sur lame numérique. Ce qui permet de les lire à distance depuis Béclère.

Manque de médecins anapath

En dépit de toutes ces obstacles, il devient presque urgent de franchir le cap du numérique. Seuls 1 500 anapath exercent. Pis, avec un grand nombre de départs à la retraite à venir, selon le Pr Bertheau, « nous nous trouverons avec au moins 10 % de pathologistes en moins avec une charge de diagnostic stable, mais avec une charge de complexité qui augmente à chaque diagnostic ». L'IA aurait alors pour mission non pas d'enterrer la profession d'anapath, mais de la sauver, voire de lui redonner un second souffre. L'anapath augmentée, une chance pour l'avenir ?

* Le projet de recherche en anapath de Frédérique Capron est axé sur la sémantique, les outils métier et les métadonnées.


Source : Décision Santé: 312