LE QUOTIDIEN : Grâce à la révélation du nom de Patrick Pelloux, vous avez libéré la parole de nombre de soignants victimes de harcèlement ou de violences sexistes et sexuelles à l’hôpital. Comment accueillez-vous ce déferlement de témoignages ?
Pr KARINE LACOMBE : J’ai été surprise par l’écho médiatique, mais pas par tous ces témoignages. Il est étonnant que, dans une institution comme l’hôpital, ils n’aient pas émergé plus tôt, comme dans d’autres pans de la société. Cela témoigne à mon sens d’un besoin d’expression des soignants, dans un contexte où ils n’ont pas beaucoup de visibilité sur ce sujet. J’ai participé à donner l’impulsion pour qu’ils le fassent, tant mieux !
Pouvez-vous nous donner quelques exemples de témoignages qu’on vous a soumis ?
J’ai effectivement reçu beaucoup de témoignages de nombreux soignants. Parfois avec le nom des responsables. Ils rapportent des situations majoritairement liées à la répétition de propos, jugés comme « grivois », mais surtout malsains pour ceux qui les subissent. Des gestes tels que des mains aux fesses ou aux seins, aussi.
Mais je dirais que ce sont beaucoup des mots, prononcés par des supérieurs hiérarchiques plus âgés, avec des relations de sujétion, qui rendent les choses malsaines, avec des caractères déviants. Ce qui m’a beaucoup frappée, c’est que souvent ces faits-là sont dénoncés auprès d’autres supérieurs, qui les entendent, mais ne prennent pas d’action. L’émergence de ce mouvement, c’est dire : oui, on nous entend, mais on ne nous aide pas et les choses ne changent pas. C’est ce ras-le-bol-là qui s’exprime.
« Il faut changer le système et dire : ce qui est “grivois” n’est pas drôle »
Pr Karine Lacombe
Envisagez-vous de révéler d’autres noms ?
Je n’en ai pas donné ! La journaliste Anne Jouan [de Paris Match, NDLR] a retrouvé la personne responsable des actes que je rapporte dans mon livre. Je ne suis pas là pour jeter les gens en pâture. Mon rôle est de montrer le caractère systémique du harcèlement moral et physique à l’hôpital. J’espère que les personnes qui ont subi des faits répréhensibles sur le plan pénal trouveront la force de témoigner pour que les auteurs soient condamnés et mis hors d’état de nuire. Les mentalités ont peu changé à l’hôpital depuis #MeToo. Il faut changer le système et dire : ce qui est « grivois » n’est pas drôle.
Faudrait-il que d’autres femmes médiatiques dans le secteur de la santé prennent la parole ?
Oui ! Des ministres l’ont déjà fait : Roselyne Bachelot, Agnès Buzyn, mais aussi l’ancienne Miss France Marine Lorphelin. Quand on a une visibilité médiatique, on se fait plus facilement interroger par les médias, mais je remarque que, sur les réseaux sociaux, beaucoup de jeunes femmes disent qu’elles en ont marre.
Le changement de mentalité existe chez les plus jeunes générations, âgées aujourd’hui d’une vingtaine d’années, ce qui n’est pas le cas de toutes celles qui exercent le pouvoir. N’attendons pas le renouvellement générationnel pour agir ! Maintenant que le mouvement est initié, accompagnons les soignants et faisons en sorte qu’il se poursuive. Ce n’est pas un problème individuel mais systémique.
« Il faut faire en sorte que ce ne soient pas les personnes qui se plaignent qui soient déplacées »
Pr Karine Lacombe
Quelles mesures faudrait-il prendre pour éviter que ce genre d’actes se reproduisent dans le milieu hospitalier ? Faut-il aller jusqu’au licenciement ?
Je vois différents niveaux de mesures. Déjà, être plus ferme sur les sanctions existantes : donner des blâmes, voire se séparer des récidivistes. Ensuite, il faut institutionnaliser les structures qui gèrent les plaintes et faire en sorte que ce ne soit pas les personnes qui se plaignent qui soient déplacées, mais celles à l’origine qui soient sanctionnées. Bref, une meilleure efficacité des cellules de prises en charge. Et agir enfin sur la prévention : quand on intègre une structure hospitalière ou universitaire, il faudrait suivre un module de formation obligatoire. Pour que chacun prenne conscience que « l’esprit grivois » est en réalité une somme de propos dégradants et humiliants pour les femmes.
Vous avez vu Frédéric Valletoux hier. Que retenez-vous de vos échanges ? Vous a-t-il donné des premières pistes d’action ?
Il a été très à l’écoute. Il recevra d’ailleurs vendredi 26 avril des syndicats et organisations étudiantes sur le sujet. J’espère que nous assistons aux prémices d’une salve d’actions. Frédéric Valletoux m’a paru volontaire à porter le sujet, mais tout ne dépend pas de lui, il faut également composer avec le ministère de l’Éducation supérieure.
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