Ne dites plus « One Health » mais « une seule santé » ! Ce concept, alliant santé humaine, santé animale et santé environnementale, s’impose dans les sphères associatives, syndicales et politiques. Lors de son introduction à la Convention on Health Analysis and Management 2021, Guy Vallancien, son président, a clamé que « la santé ne doit plus être pensée en termes d’objectif annuel de dépenses dont on rogne les capacités petit à petit, mais au contraire nous devons la considérer comme la plus belle des économies au service des êtres vivants, en y investissant massivement à moyen et long termes ».
À l’épreuve des lobbies
Quid du contexte sanitaire de 2050 ? L’ancien conseiller santé du Parti socialiste (PS) Dr Claude Pigement imagine que « l’environnement prendra plus de place dans tous les secteurs, dont la santé : les professionnels comme la population seront plus sensibilisés aux risques sanitaires ». Alors, raconte-t-il, « nous pouvons espérer un très grand ministère de la Santé qui couvrirait environnement et nutrition dans une logique One Health… mais un seul ministre ne pourrait pas couvrir tous ces champs. Il aurait donc des ministres délégués ou des secrétaires d’État ». Même constat du côté de l’ancien député Les Républicains (LR) Jean-Pierre Door. « Lier Ségur à l’écologie est une nécessité : beaucoup de pathologies déclinent de problèmes environnementaux. Idem avec le travail : les maladies professionnelles et la médecine du travail relèvent de Ségur. »
Pourtant, du côté de Frédéric Pierru, sociologue et chercheur au CNRS, le constat est cynique. « Que restera-t-il de la santé transversale face à la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) ou face à la délocalisation des entreprises françaises ? » Il poursuit. « La vision médicalocentrée de la santé peut changer. Mais il faudra engager énormément de volonté politique pour affronter des lobbies qui défendent des intérêts différents. Exemple : la relocalisation de la chaîne de production de médicaments essentiels en France. Cela repose sur de l’industrie chimique, ce qui implique de revoir le zonage Seveso. Qui accepterait cela sur son territoire ? Une contradiction existe entre souveraineté retrouvée et industrie polluante. La réalité, c’est que personne ne peut être contre One Health… sauf dans son jardin. »
Qui pour piloter les dépenses ?
Mais pour investir, encore faut-il avoir des fonds. Et c’est Bercy qui a la main. Le Dr Claude Pigement confirme la prédominance du ministère des Finances sur la Santé. « Bercy a toujours plus de poids que Ségur… De plus, les mesures contraignantes européennes pour contenir les dépenses publiques empêchent les investissements en santé. » Alors qu’imaginer pour qu’un investissement important ait lieu d’ici 2050 ? Ségur dans Bercy ou Bercy dans Ségur ? Jean-Pierre Door a son avis. « Qu’il y ait un lien entre Bercy et Ségur me paraît indispensable. Avec Bercy, on peut légiférer, débattre, proposer… Il aura toujours le dernier mot. Je ne vois pas la Santé dans Bercy, mais plutôt Bercy très proche de Ségur. » Statu quo, donc ?
Pour Frédéric Pierru, « les dépenses publiques de santé vont préoccuper les pouvoirs publics : toutes les directions relatives à la santé seront soumises à la doctrine élaborée à Bercy. Mais tout ce qui pourra être considéré comme un potentiel de croissance économique en santé sera directement géré par Bercy. » Les soins primaires seront donc toujours vus comme des dépenses. Ainsi, peut-on vraiment imaginer que la gouvernance en santé puisse évoluer dans les trente prochaines années ? « Un quart de siècle pour un système de santé, c’est un horizon assez proche en raison de son inertie. Pour prédire son évolution, il suffit de prolonger les tendances actuelles. Sauf effondrement économique ou pandémique, je ne crois pas que les systèmes de santé changeront : ce sont des arènes politiques peuplées de groupes d’intérêts à qui profite le statu quo », regrette Frédéric Pierru.
Du côté des associations de patients, leur poids sera plus grand dans les décennies à venir selon le Dr Pigement. « D’ici 2050, je crois que la révolution des usagers prendra plus d’importance. Leur rôle sera d’être un partenaire, aux côtés de l’Assurance maladie, et un contre-pouvoir, notamment sur les technologies. » L’évolution technologique est aussi pointée par le Dr Door. « En 2050, la santé va être numérique, informatisée, très technologique. Nous le voyons très bien en cardiologie ou en chirurgie, spécialités où la robotisation est déjà présente. Nous allons vers des évolutions que nous n’imaginons pas encore. »
Une défense médicale européenne ?
Si le contexte français paraît compliqué à réformer, qu’en est-il au niveau européen ? Pour Frédéric Pierru, « on ne peut pas demander à l’Europe d’avoir un rôle clé dans la santé. L’UE est organisée comme un libre marché de libre circulation. Soit on acte que les politiques de santé engagent, du fait des interdépendances entre États membres, des externalités, donc on fédéralise ; soit on reste dans le statu quo ou chacun mime l’autre, comme lors de la pandémie quand tour à tour les pays ont confiné ». Jean-Pierre Door, lui, pense que « la Commission européenne en santé doit être plus performante. Il nous faut une défense médicale ».
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