Comment assurer ses vieux jours en vivant avec le VIH ? Chaque mois, dans les locaux de l’association lyonnaise Da Ti Seni, un groupe de parole réunit celles qui, passé 50 ans, se posent la question. Primo-arrivantes ou installées en France depuis des années, toutes cumulent exil et séropositivité, la plupart étant originaires d’Afrique subsaharienne. Suivies en France, elles s’inquiètent pour leur avenir et leur santé malgré une charge virale indétectable.
L’association, coordonnée par Albertine Pabingui, spécialisée en anthropologie de la santé, leur propose un suivi médico-social, des activités socioculturelles et, chaque mois, un groupe de parole. D’ici à 2030, 70 % des personnes séropositives en France auront plus de 50 ans, d’après Sidaction.
De multiples comorbidités
Ce mercredi, en fin d’après-midi, la Dr Florence Brunel, spécialiste du VIH et des hépatites virales à l’hôpital Édouard-Herriot de Lyon, répond aux interrogations des participantes dans les locaux de l’association. L’ambiance, dans cette pièce aux allures de salle à manger, invite à se confier. Sandra (1) évoque d’abord son hypertension, Florence s’inquiète de pertes de mémoire, Elvige mentionne son diabète récemment diagnostiqué.
L’isolement social et le stress sont des éléments bien plus délétères sur la qualité de vie que les effets du VIH lui-même
Dr Florence Brunel, PH aux Hospices civils de Lyon
Après 50 ans, des besoins spécifiques s’appliquent aux femmes séropositives issues de parcours de migration complexes. « Elles sont confrontées à une multitude de comorbidités dues non seulement au traitement antirétroviral et au virus, mais surtout à une grande précarité, expose la Dr Brunel. L’isolement social et le stress sont des éléments bien plus délétères sur la qualité de vie que les effets du VIH lui-même dès lors que le virus reste contrôlé, avec un traitement adapté. »
Parmi les comorbidités possibles, la spécialiste cite des risques accrus d’ostéoporose et de troubles neurocognitifs, mais aussi des problèmes lipidiques et des comorbidités cardiovasculaires (hypertension artérielle, obésité, cholestérol, diabète) causées par les habitudes de vie, elles-mêmes liées à la précarité.
Éducation thérapeutique et pair-aidance
Pour prévenir ces pathologies, l’alimentation, l’exercice physique, la vie affective et sexuelle, l’estime de soi et l’autonomie financière doivent être abordés. Autant de sujets que la consultation rythmée de l’hôpital ne permet pas toujours d’approfondir, d’où la nécessité d’interventions complémentaires avec le monde associatif. La Dr Brunel recommande de constituer une équipe pluridisciplinaire, incluant idéalement un virologue, un pharmacologue, un suivi diététique mais aussi des médecins et des infirmiers pour assurer l’éducation thérapeutique, notamment pour prendre le traitement régulièrement. « Celles qui n’ont pas de logement fixe ont plus de mal à stocker des médicaments », indique Albertine Pabingui.
Un accompagnement psychologique avec une approche interculturelle garantit aussi une meilleure prise en charge. Lors des groupes de parole, en écoutant les témoignages de leurs paires installées en France depuis des années, les primo-arrivantes peuvent à leur tour s’ouvrir au monde médical occidental. « Beaucoup de nos patientes africaines n’osent pas parler au début parce qu’il y a dans leur pays des tabous autour de certaines maladies, de la sexualité ou du viol, constate la Dr Brunel. Il n’est pas rare que des femmes ne disent rien en consultation face à des spécialistes, pour finalement ressortir du cabinet avec beaucoup de questions. »
En 2023, le groupe de réflexion interassociatif Bien vieillir avec le VIH, coordonné par Sidaction, a émis une série de recommandations auprès des pouvoirs publics. En 2024, les résultats de l’étude Vieillir avec le VIH diffusée fin 2023, et qui a recueilli les réponses de 425 personnes vivant avec le VIH de plus de 50 ans et de 89 professionnels, démontrent que « plus de la moitié des répondants vivent avec moins de 1 500 euros par mois, alors que 64 % n’ont pas encore atteint l’âge de la retraite ».
Chez Da Ti Seni, nombreuses sont les patientes à se poser la question de rentrer au pays ou de « faire la navette » avec la France. D’autres se demandent, après des années de travail sur le sol français, comment se faire envoyer leurs médicaments en Afrique durant leurs vieux jours. En faisant ce choix, elles prennent un risque de taille : la rupture thérapeutique, conclut la Dr Brunel, « serait évidemment le pire des scénarios ».
(1) Les prénoms ont été modifiés
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