Malgré la diminution de la consommation d’alcool en France, la prévalence de l’alcoolo-dépendance reste élevée et constante, avec deux millions d’adultes concernés par des troubles médicaux, psychologiques et sociaux liés au mésusage d’alcool, près de 50 000 morts annuels et un coût sanitaire estimé à plus de 2,5 milliards d’euros par an. Alors que les structures de soins sont saturées, que les mésusages creusent les inégalités sociales et que les thérapies font l’objet de controverses, l’Europe et les collectivités territoriales ont mis en branle divers plans alcool. La France devrait, elle, se doter d’un programme d’action avec la loi santé de 2014.
L’EUROPE championne du monde la politique anti-alcoolique. Du moins la région européenne au sein de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), avec ses 53 États membres. Logique, pour un continent qui atteint les plus hauts niveaux de consommation alcoolique de la planète... En Europe, 40 % de la morbidité et de la mortalité prématurée sont dus à trois facteurs de risque évitables : le tabac, l’alcool et les accidents de circulation (souvent liés à la consommation d’alcool). En France, le coût sanitaire de l’alcool est estimé à plus de 2,5 milliards par an (1). Son coût social, de l’ordre de 37 milliards (2), soit 2,37 % du PIB, est beaucoup plus élevé que celui du tabagisme, de loin supérieurs à celui des drogues illicites.
Vingt ans de campagnes.
Le premier plan d’action européen contre l’alcoolisme fut lancé en 1992, suivi d’une deuxième en 2000. Leurs mesures ont été renforcées dans le cadre du plan 2012-2016, à la suite de l’intervention de la Commission européenne en 2006, en faveur d’une stratégie qui met l’accent sur la protection des jeunes et des enfants (avant et après la naissance) ; les accidents de la route liés à l’alcool ; la consommation sur les lieux de travail et autres mauvaises habitudes. Car il y a de grandes marges d’amélioration, estiment les experts, qui pointent la vente libre aux adolescents de moins de 18 ans dans un tiers des pays européens, et une fiscalité de l’alcool inadaptée, eu égard au coût social de l’alcoolisme.
Aligné sur la stratégie mondiale de l’OMS, le plan alcool européen se déploie autour de cinq axes : la sensibilisation des pouvoirs publics ; le renforcement des enquêtes sur les méfaits de l’alcool et ses déterminants, avec la création d’une base de données ; la prise en charge et le traitement des pathologies associées à l’alcool ; la mobilisation des ressources budgétaires à la hauteur ; l’amélioration des systèmes de surveillance et d’information du public.
Des initiatives locales concrètes.
Parmi les préconisations européennes, les initiatives concrètes des municipalités et autres collectivités territoriales sont fortement encouragées. En France, où les binge drinkings (défonce alcoolique collective) prolifèrent en particulier sur la côte atlantique, la ville de Nantes, pionnière, a lancé il y a cinq ans un plan alcool pour changer les comportements de consommation chez les jeunes, associant actions de prévention et mesures réglementaires : charte de la vie nocturne, signée par 80 partenaires (bars, étudiants, CHU), équipes mobiles « les veilleurs de soirée », qui maraudent entre 21 heures et 3 heures du matin, pack formation pour enseigner les gestes de premier secours. Le mois dernier un arrêté municipal a renforcé le dispositif avec l’interdiction de toute vente d’alcool à emporter de 22 heures à 8 heures, le week-end.
Les élus d’une dizaine de villes européennes ont planché l’été dernier sur l’efficacité de telles mesures, alors que le CHU nantais continue de totaliser, bon an mal an, près de 400 hospitalisations pour hyperalcoolisation, dont 4 à 7 % de cas graves (comas éthyliques). Un score qui reste à la hausse depuis plusieurs années.
Les départements et régions ne sont pas en reste. Des plans de lutte contre l’alcoolisme et les consommations excessives d’alcool sont déclenchés, comme en Haute-Normandie, qui ciblent également les jeunes, mais aussi les femmes et les automobilistes : des équipes de « dragons » sont organisées pour reconduire les fêtards qui jugent ne pas être en état de prendre le volant, des intervenants en addictologie sont formés, dans un cadre sanitaire et médical réorganisé, avec la création des CSAPA (centres de soins, d’accompagnement, de prévention en addictologie), orientés vers une prise en charge transversale des patients. À des actions de prévention en milieu professionnel et sportif s’adjoignent des mesures de contrôle réglementaire (vente d’alcool en ligne et dans la grande distribution, police des établissements de nuit, répression de l’alcool au volant, lutte contre l’ivresse sur la voie publique).
L’OMS réclame une action nationale ciblée.
Le plan national addictions présenté par la MILDT le mois dernier, qui catalogue tout l’arsenal des mesures pour répondre l’ensemble des produits psychoactifs (drogues illicites, tabac, alcool), ne prétend pas fournir le cadre d’une harmonisation pour encadrer les mesures spécifiquement destinées à traiter l’alcoolo-dépendance. « Un plan dédié d’action nationale, ou une stratégie nationale contre l’alcoolisme sont nécessaires pour définir les priorités et orienter les mesures à prendre », insiste l’OMS.
En présentant les trois volets de la « Stratégie nationale de santé » qui va servir de feuille de route à la future loi santé 2014, Marisol Touraine a tracé le chemin, réclamant un outil de pilotage pour coordonner les actions, gagner le pari de la prévention, faire reculer les inégalités de santé et s’attaquer aux maladies chroniques. Bref, a annoncé la ministre en mentionnant expressément l’alcool, « il nous faut des programmes d’action précis et aussi des indicateurs chiffrés pour mieux évaluer nos actions ». En France, boire est devenu un réel problème de santé publique depuis la création par Pierre Mendès-France, en 1954, d’un Haut Comité interministériel sur l’alcoolisme. Après la « loi Evin » en 1991, la loi HPST en 2009, le SNS fournit les linéaments du plan alcool à inscrire dans la loi de santé 2014, future loi Touraine.
(1) Chiffre cité par le Pr Michel Reynaud (SFA), avec 1,05 milliard pour les pathologies directement liées à l’alcool et 1,45 milliard pour les pathologies indirectement engendrées.
(2) Actualités et dossiers en santé publique (mars 2006)
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