« Et vous ? Vous en êtes où avec l’alcool ? » Généraliste à Rambouillet, le Dr Jean Saint-Guily aime bien utiliser cette formule pour aborder le problème de la consommation d’alcool avec ses patient(e)s.
« C’est une formule qui n’est pas stigmatisante et pas axée d’emblée sur la quantité d’alcool que la personne consomme. C’est un paramètre important, certes. Mais ce qui est essentiel aussi, c’est la façon dont elle consomme. Si par exemple un patient boit en fin de journée en situation de stress professionnel, c’est problématique », poursuit ce généraliste, qui est aussi addictologue-consultant dans un Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA).
Pas simple mais possible
De nombreux médecins de famille en conviennent : il n’est pas toujours simple d’aborder le sujet « alcool » dans une consultation. « On est souvent confronté à des réactions de déni voire même à une honte manifeste d’en parler », souligne le Dr Saint-Guily, qui attend toujours le moment qu’il juge opportun pour en parler. « Pour ma part, je n’hésite pas à intégrer une question sur la consommation déclarée d’alcool (CDA) dans l’interrogatoire classique de chaque nouveau patient », indique Dr le Philippe Zerr, professeur associé de médecine générale à l’Université Paris-Diderot, qui exerce à Levallois-Perret. « Je lui demande s’il a déjà eu d’autres maladies, s’il a une pathologie chronique, s’il fume. Et à la fin, je parle de l’alcool, en demandant quelle quantité il consomme le midi et le soir, en semaine, puis le week-end », indique le Pr Zerr.
Selon le Pr Zerr, le fait d’utiliser les repères de consommation de l’OMS, très concrets, facilite souvent le dialogue. « Je dis au patient qu’au-delà de 21 verres standards pour un homme et 14 verres pour une femme, par semaine, on entre dans une consommation à risque. Et très souvent, cela le fait réfléchir. Par exemple, parmi mes patients, j’ai beaucoup de responsables de société qui font des repas professionnels et qui, en comptant les verres consommés dans la semaine, se rendent compte qu’ils sont entrés dans une consommation problématique », indique le Pr Zerr.
Parfois, cette prise de conscience survient quand le médecin informe le patient des unités d’alcool contenues dans les différentes boissons. « J’ai demandé par exemple à un patient comment il réagirait face à une personne qui serait amené à boire chaque semaine 25 verres de whisky servis au café. Il a reconnu qu’il s’agirait là d’une consommation excessive. Cette consommation était pourtant la sienne. Mais il n’en avait pas conscience car il consommait 25 verres de vin ou de la bière », explique le Pr Zerr.
Face à une alcoolo-dépendance, le généraliste est souvent conduit à orienter son patient vers une consultation spécialisée. « Je demande l’avis d’un alcoologue qui peut évidemment être utile. Ensuite, après 25 ans d’expérience, je constate que le succès des cures de sevrage n’est quand même pas extraordinaire. Et que l’hôpital n’est pas la panacée pour le suivi des patients alcoolo-dépendants », souligne le Pr Zerr.
Un tournant
De son côté, le Dr Saint-Guily estime qu’un vrai tournant s’est produit grâce à l’arrivée de certains médicaments pouvant aider le patient à réduire sa consommation sans pour autant l’arrêter complètement. Le médicament le plus emblématique, dans ce domaine, reste bien sûr le baclofène, qui semble diviser un peu les généralistes. Certains ne l’utilisent pas ou peu. D’autres le prescrivent régulièrement, presque de manière militante dans certains cas. « Il faut rester mesuré », estime le Dr Saint-Guily. « C’est un médicament qui, avec le nalméfène, peut avoir un intérêt, notamment chez les patients qui refusent l’idée d’un arrêt complet de leur consommation. Pendant longtemps, les addictologues érigeaient comme un dogme l’objectif d’un arrêt total de la consommation chez les patients en situation de dépendance. Le discours sur la réduction des risques et une baisse progressive de la consommation n’était pas audible. »
Le problème, selon le Dr Saint-Guily, est que les généralistes sont souvent confrontés à des patients pour qui un sevrage total apparait comme un objectif inatteignable, du moins à court ou moyen terme. « Et le risque est que le généraliste finisse par baisser les bras face à des patients qui, eux-mêmes, se décourage. Mais heureusement, le discours est en train de changer avec ces thérapeutiques qui peuvent engager ces patients dans une démarche de réduction des risques. »
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