Touche de couleur rouge obligatoire ! C’était la consigne de Gaël Dupret, photographe impliqué dans la promotion de l’égalité.
100 femmes et pas une de moins, se sont fait tirer le portrait dans le cadre de son projet artistique « RED for exécutive women ». L’exposition s’est tenue en novembre dernier à la mairie du XIV avant qu’elle ne devienne itinérante. Mais, pourquoi diable celles - ci plutôt que d’autres ? Parce ces femmes-là sont agissantes et s’imposent dans notre société. Elles ont réussi à occuper des fonctions clefs. Toutes, sans exception, ont lutté et lutteront encore contre le plafond de verre et pour l’égalité entre les femmes et les hommes.
Impossible pour « le Quotidien du Médecin » de ne pas « zoomer » sur l’un de ces portraits. Ainsi, la Dr Fatma Bouvet de la Maisonneuve reprendra la pause pour notre photographe, dans son cabinet de Châtillon (Hauts de France). Aucune consigne cette fois-ci. Mais, « Bis repetita placent », la belle quinquagénaire est en jupe rouge !
Forte détermination, que des yeux rieurs ne cessent de trahir, pour une élégance toute menue et une silhouette de sportive aguerrie (cours de gym deux fois par semaine pour l'amatrice de foot). La psychiatre et addictologue n’a pas besoin « d’oser le féminisme », il est viscéralement ancré en elle. D’ailleurs, ici le féminisme se transmet de génération en génération.
Quand le féminisme est déjà une histoire de famille
« Mon grand-père, mon père et ma mère étaient féministes » précise la spécialiste, mère de deux garçons. La Dr Fatma Bouvet de la Maisonneuve, née Dellagi, est tunisienne mais voit le jour à Alger. Elle grandit entre de jeunes parents sensibles aux questions de justice sociale et d’égalité. Communistes, tiers-mondistes et pan - africanistes, le père (physicien) et la mère (chirurgienne - dentiste), tenaient à participer à la construction de l’Algérie post-indépendance et se sont installés à Alger plusieurs années. « Nous avons vécu l’après indépendance politiquement et intellectuellement. La capitale était à cette époque, le lieu de rendez-vous de tous les penseurs tiers mondistes qui cherchaient le 3e modèle. Il y avait des Russes, des Moyen-Orientaux, des révolutionnaires… On se nourrit de ce genre de grands débats. Je me souviens de tout cela. Et j’en ai été imprégnée. Moi j’étais petite, mais j’ai vécu cette période à travers les relations et les activités de mes parents. » se remémore avec plaisir la professionnelle de santé. Cet héritage multiculturel est encore renforcé par un grand-père instituteur, socialiste et franc-maçon du temps des colonies. « C’était un libre penseur, un curieux de tout qui m’avait confié, à l’âge de 12 ans, son secret. Il me faisait lire ses travaux, ses planches. Son engagement et ses idéaux étaient forts. » Élevée dans un milieu où « l’autre est toujours une richesse… » La future psychiatre connaît le « cocon privilégié » et cosmopolite du lycée français de Tunis. « C’était une très belle époque où les questions d’identité ne posaient aucun problème. Je me suis orientée vers des études de médecine à Tunis et avec des stages dans les hôpitaux, j’ai découvert la réalité des milieux défavorisés… »
Atavisme tourné vers l’autre au féminin
Un choix cornélien s’impose à l’heure des spécialités. Car la jeune femme éprouve le besoin de réajuster le comportement du corps médical qui ne prend pas, ou insuffisamment, en considération les difficultés des patientes en lien avec la féminité.
Alors ? Psychiatrie ou gynéco - obstétrique ? Hésitations… « Je me suis toujours intéressée aux troubles qui touchent les femmes en particulier et j’aime aborder les sujets tabous pour les rendre visibles… ». Donc, elle optera pour la psychiatrie. Formée en Tunisie jusqu’à sa deuxième année de résidanat, la majore de promo obtient une bourse d’études en vue d’une spécialisation en toxicomanie à l’hôpital Sainte-Anne de Paris. Elle tirera un livre de ces années-là « Une Arabe en France, une vie au-delà des préjugés ». « J’idéalisais la France au point de croire que Paris était la ville de l’amour et de l’humour… » lance-t-elle joviale. Et c’est bien à Paris qu’elle rencontrera Olivier, son époux breton. Psychiatre lui aussi.
Comment le tropisme féminin oriente et guide ses choix professionnels
Un DESS marketing santé et société en poche, l’énergique praticienne travaille un temps dans l’industrie pharmaceutique sans renoncer aux consultations en addictologie… Je me suis rendue compte que le monde de l’entreprise est un univers extrêmement violent, particulièrement à l’encontre des femmes… Il faut s’imposer en tant que femme, imposer un projet - ce que j’appelle la double discrimination - car les femmes brillantes et visionnaires qui réussissent, sont très mal perçues. Elles sont vécues comme celles qui bousculent le système. Rien qu’en prenant l’exemple de la médecine, où tous les patrons sont des hommes, ce milieu déjà à prédominance féminine va être féminin dans moins de dix ans ... » Le hiatus, c’est que pour réussir, les femmes doivent suivre les codes et modèles masculins. » Or, souligne la pétillante médecin « Les femmes ne sont pas des hommes comme les autres… ». Comment mener tout de front ? « Je vois des patientes qui ont à la fois des parents âgés à soutenir, un enfant phobique scolaire ou dyslexique, des responsabilités professionnelles… et un mari, souvent absent… ». Cette problématique féminine du XXIe siècle est le sujet de l’un de ses ouvrages « Le choix des femmes ».En parallèle, la psychiatre constate une augmentation du nombre croissant de patientes et propose à son chef de service de créer une antenne spéciale « femmes et alcool ». C’est ainsi, que la toute première consultation ciblée, de l’alcoolisme au féminin est créée à Sainte-Anne.
Stop à la fatalité ! Des idées, l’optimiste Fatma Bouvet de la Maisonneuve en a à la pelle. Son parcours d’élue municipale, son implication comme membre du CESE,* ou au sein du Club du 21 e siècle, afin de participer au débat public, peuvent en témoigner. L'énergique praticienne n’a de cesse d’agir dans la vie de la citée. D'ailleurs, elle conçoit l’une des fonctions du psychiatre, un peu comme celle du lanceur d’alerte.
Psychiatres lanceurs d’alerte « Nous pourrions être des interlocuteurs en terme de prévention. » tient à souligner l'addictologue dans la mesure où, des propos, des symtômes (qui se répètent dans l’intimité d’un cabinet) deviennent souvent dans les deux ans qui suivent, des faits sociaux.
Spontanée, tendre et forte à la fois, Fatma Bouvet de la Maisonneuve ne nous étonne pas lorsqu'elle livre son mantra qu’elle tient du poète René Char : « impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder ils s’habitueront. »
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