« NOUS SOMMES victimes d’un méchant retour en arrière. » Le diagnostic de ce professionnel qui exerce depuis 20 ans dans le secteur du grand âge est sans appel. « Les moyens que nous avions il y a une décennie sont incomparables à ceux d’aujourd’hui. » Yvan Codina dirige La Clef des âges, une association d’aide à domicile de 500 salariés, qui sert 2 000 à 2 500 bénéficiaires dans 40 communes des Bouches du Rhône. Son budget est en berne. « Nous vivons sur nos réserves : heureusement que nous avons eu auparavant une gestion rigoureuse de notre trésorerie, pour éviter le destin des 700 associations qui ont mis la clef sous la porte ces deux dernières années. » Si son service tourne encore, il ne peut plus, en revanche, embaucher de personnel formé. « Le conseil général ne veut pas financer plus de 20 % de nos effectifs en salariés diplômés, alors que, lors du lancement du plan Solidarité grand âge, État, assurance-maladie, et associations étions tous d’accord pour professionnaliser le secteur ! », tempête-t-il. Du coup, il doit faire avec les moyens du bord pour répondre à la demande croissante. « J’ai de la chance d’être situé dans une zone semi-rurale et pavillonnaire, où des mères de famille profitent de la souplesse de nos horaires pour arrondir leurs fins de mois, mais je n’aurais pas un responsable de secteur en plus », explique-t-il.
Alors que les Français plébiscitent le maintien à domicile et que la ministre des Solidarités et de la cohésion sociale, Roselyne Bachelot, prône le libre choix, les associations sont exsangues. Elles se retrouvent, à l’image de La Clef des âges, dans une situation « ubuesque », selon les mots de Didier Sapy, président de la Fédération nationale avenir et qualité de vie des personnes âgées (FNAQPA). « Les services se sont fortement engagés dans une démarche de qualité, en recrutant du personnel diplômé, mais l’État ne veut plus les financer, on est en pleine injonction paradoxale ! »
« Les personnes âgées n’ont pas les moyens d’un choix », tranche de son côté Joëlle Le Gall, présidente de la Fédération nationale des associations de personnes âgées en établissements et de leurs familles (FNAPAEF). « Les aides à domicile doivent être absolument formées aux pathologies comme l’Alzheimer, sinon elles précipitent les personnes dans la dépendance : il faut les aider à faire et non faire à leur place pour aller plus vite, or le temps, ça se paie, et ni les associations ni les sujets âgés ne le peuvent. » Selon Joëlle le Gall, un individu âgé classé en GIR 2 ou 3, nécessitant un accompagnement quotidien relativement lourd, pourrait dépenser jusqu’à 7 000 euros par mois (en incluant les soins, les permanences de nuit, mais aussi le logement, la nourriture…). Un coût inaccessible aux petites retraites.
Et le recours aux aidants familiaux ne peut être une solution. « C’est inacceptable, les conjoints et enfants doivent recevoir une formation, or presque rien ne leur est proposé. Et encore, c’est une génération de femmes qui est sacrifiée, car il ne faut pas sous-estimer la charge physique et morale qu’un tel accompagnement requiert et qu’assument en majorité les épouses et les filles », souligne Joëlle Le Gall.
Une douche par semaine.
Lorsque les personnes sont trop dépendantes, modestes financièrement ou isolées, ne reste qu’une solution : la maison de retraite, qui est loin d’être une sinécure. « Aujourd’hui, on ne va plus en établissement par choix, pour trouver de la sociabilité, jouer au tarot, au scrabble ou au bridge, mais parce qu’on représente une charge trop lourde pour la société », résume David Causse, coordinateur du pôle santé sociale de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne, à but non lucratif (FEHAP).
Dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EPHAD) ou autres structures alternatives à l’aide à domicile, les directeurs doivent, là aussi, gérer avec des moyens en pleine contraction, que ce soit du côté de l’assurance-maladie, qui finance les soins, des conseils généraux, prestataires de l’Allocation pour personnes âgées (APA), ou des familles elles-mêmes.
Pierre Roux possède 3 établissements dans l’Aveyron. Pour s’adapter au niveau de vie de la population, dont la retraite avoisine les 700 euros en moyenne, il fixe le prix dune journée d’hébergement entre 45 et 50 euros. « Mais ce n’est pas le grand luxe, reconnaît-il. Nous ne pouvons pas faire le ménage ni les lessives tous les jours, les résidents n’ont droit qu’à une douche ou un bain par semaine, les menus sont imposés, l’animation est passable. Nous souhaiterions avoir le temps de conduire les personnes debout jusqu’au réfectoire, et non dans un fauteuil, ou les accompagner une fois par trimestre faire des courses ou prendre un café, mais nous avons besoin de deux fois plus de personnel », estime ce directeur, qui n’a que 5 aides-soignants pour 10 pensionnaires (alors que le plan Solidarité grand âge prévoyait un ratio de 0,8 pour 1 résident). Le conseil général lui a répondu qu’il manquait 7 millions d’euros pour financer l’APA. Et la convention tripartite que l’État, le département et l’établissement signent tous les cinq ans n’a pas été renouvelée. « Si nous n’avons pas davantage de moyens, c’est tout le secteur associatif qui va périr, il ne restera que les établissements lucratifs, qui demandent 80 euros pour une journée », prédit Pierre Roux.
S’il est mieux loti, Jean-René Berthelemy, directeur de l’EPHAD Sainte-Thérèse, à Ludres (dans la banlieue de Nancy), bataille également pour faire signer la convention tripartite, que rejette catégoriquement le conseil général. « Nous aurions besoin de 38 aides-soignantes, mais on nous refuse les 7 qui nous manquent. Alors l’équipe se serre les coudes et je suis contraint de décliner les dossiers de résidents très dépendants », explique-t-il. Une situation grandement partagée, puisque, selon la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), 1 673 établissements n’auraient pas renouvelé leur convention en 2010 – ils seraient 2 000 en 2011.
Un taux directeur trop faible.
Jean-René Berthelemy, comme ses pairs, doit aussi naviguer avec une autre contrainte : la fixation du taux directeur (dans le PLFSS) à près de 1 %. « Nos salaires ont augmenté mécaniquement de 1,5 %, et je ne parle pas du gaz pour un établissement de 125 lits ou du prix des matières premières ! » « Nous estimons qu’il faudrait un taux de 2 % pour reconduire l’existant, le tour de vis est indéniable cette année, et cela peut conduire à la maltraitance des personnes âgées », déplore de son côté Gérard Vincent, délégué général de la Fédération hospitalière de France (FHF).
La convergence tarifaire, imposée aux établissements les mieux dotés qui doivent réduire leur train de vie pour atteindre les tarifs plafonds fixés par le gouvernement, menace, en outre, de jouer en leur défaveur. Pour récupérer 13 000 euros, 2 000 emplois risquent d’être supprimés, calcule-t-on à la FHF. Qui reçoit beaucoup de courriers de directeurs, désireux de passer du tarif partiel au global, incluant le salaire des médecins et le coût des médicaments dans leur financement, afin de limiter les effets de la convergence. « Cela permettrait de ne pas perdre 250 000 euros et de garder toutes nos aides-soignantes », écrit un patron à la Fédération.
Dans ce contexte, les associations suivent de loin les réflexions du gouvernement sur la dépendance. « Quelles que soient les solutions choisies, nous voulons de l’argent, tout de suite », déclare Didier Sapy. Au risque de creuser les inégalités territoriales et sociales.
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