PAR LE Dr VALÉRIE BILLARD*
LE BIS OU INDEX BISPECTRAL est un paramètre variant de 0 à 100, calculé automatiquement par un moniteur spécifique à partir de l'EEG cortical frontal et supposé mesurer la profondeur d'une anesthésie générale.
Développé dans les années 1990 par une PME américaine (Aspect Medical) et mis sur le marché européen en 1996, il a fait l'objet de plus de 1 000 articles décrivant ses performances et ses limites. Depuis, plusieurs concurrents ont été commercialisés, avec des performances cliniques plus ou moins équivalentes, mais moins d'articles publiés.
Par rapport aux pratiques cliniques habituelles, l'utilisation de ces moniteurs est apparue suffisamment innovante pour faire l'objet d'une Task Force de l'American Society of Anesthesiologists (ASA) en 2006, d'une métaanalyse de la Cochrane Library en 2007 et d'une recommandation formalisée d'experts de la SFAR en 2009.
Estimer la profondeur de l'anesthésie est une nécessité, car les doses nécessaires pour réaliser une anesthésie générale varient considérablement d'un patient à l'autre. La dose qui convient à un patient peut être excessive chez un autre et insuffisante chez un troisième et générer dans les deux cas une morbidité supplémentaire.
Or, les signes cliniques de sous-dosage ou de surdosage permettant d'ajuster les doses à la réponse de chaque patient sont très insuffisants. Réveil et mémorisation peropératoire ne sont dépistés qu'a posteriori, en particulier chez le patient curarisé qui ne peut pas montrer en bougeant qu'il est réveillé. La réactivité aux stimulations douloureuses n'est observée qu'après avoir appliqué la stimulation. Le surdosage n’est dépisté que par ses effets secondaires car un patient qui ne réagit pas peut aussi bien avoir reçu la dose minimum nécessaire ou le double, et ces effets secondaires sont peu spécifiques et ont de nombreuses autres causes (hypovolémie, traitements associés).
Mesurer les effets corticaux des drogues.
L'EEG cortical est le signal physiologique le plus étudié car son enregistrement est non invasif et il se modifie avec l'approfondissement de l'anesthésie. Rapporté à la dose administrée, il permet donc d'estimer la sensibilité d'un patient à l'agent utilisé. Mais la corrélation avec le sommeil s'arrête là car la conscience comme la mémoire ou la réactivité à la douleur reposent sur des structures anatomiques profondes du cerveau : le retentissement de ces processus sur le cortex est très indirect et plus ou moins amorti, quelle que soit la technique d'analyse.
En d'autres termes, l'EEG cortical et donc le BIS et ses concurrents permettent de mesurer les effets corticaux des drogues qui par ailleurs font dormir par leurs effets sous-corticaux.
Cette discordance pharmaco-anatomique entre les effets souhaités de l'anesthésie (sur les structures profondes du SNC) et les effets mesurés (sur le cortex) est une des principales critiques formulées à l'encontre de ces moniteurs.
Dans des conditions standardisées de laboratoire, plusieurs articles concordants ont décrit des valeurs de BIS corrélées avec la perte de conscience et l'amnésie, une valeur < 50 étant associée à une probabilité de réveil < 5%.
Mais en pratique clinique, les cas de mémorisation étant rares (environ 0,2 %), il faut monitorer plusieurs milliers de patients pour prévenir un seul cas. Le bénéfice du BIS devrait théoriquement augmenter chez les patients à haut risque de mémorisation (chirurgie cardiaque, obstétrique, hémodynamique précaire). Dans ce cas, une seule étude randomisée a montré une réduction du risque de mémorisation de 0,9 à 0,17 % mais avec des critères diagnostiques contestés. Une deuxième étude a retrouvé un risque identique (0,2%) avec ou sans BIS, mais avec des biais méthodologiques majeurs.
Enfin, plusieurs cas cliniques ont décrit des mémorisations chez des patients monitorés par le BIS, mais où les valeurs de BIS hautes n’avaient pas toujours conduit à modifier les doses administrées.
De plus, de nombreux artefacts musculaires ou électriques peuvent élever faussement la valeur du BIS et doivent être éliminés avant de conclure à un réveil peropératoire.
Au total, aucune étude n'a supprimé totalement le risque de mémorisation grâce au monitoring, mais son incidence peut probablement être réduite à condition d’ajuster les doses aux valeurs de BIS observées et de tenir compte du contexte.
L’ajustement au BIS diminue le surdosage.
Il réduit de 10 à 40 % les doses d’hypnotique consommées et diminue l'incidence des nausées et vomissements postopératoires (NVPO) après anesthésie inhalée lorsqu’aucune prévention n'a été donnée.
Cela est associé à une diminution statistiquement significative, mais cliniquement négligeable, des délais de réveil et des durées de séjour en salle de soins postinterventionnels.
L’influence du BIS sur la stabilité hémodynamique peropératoire est faible.
Dans deux études, la durée de surdosage (BIS < 45) a été corrélée avec la mortalité à 1 an chez des patients porteurs d'un cancer, mais seulement chez ceux ayant une forme de mauvais pronostic.
*Institut Gustave Roussy, Villejuif.
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