Il y a 10 ans, la greffe fécale démontrait avec éclat son efficacité contre les infections récidivantes à Clostridioides difficile. Les espoirs étaient alors grands de voir cette nouvelle technique soulager les patients atteints de maladies inflammatoires. La réalité s'est révélée plus complexe, la faute à une connaissance encore imparfaite des interactions au sein du microbiote. Mais les essais cliniques se multiplient.
En 1983, un premier cas d'infection par le Clostridioides difficile (nouveau nom de Clostridium difficile) était traité efficacement par greffe fécale. En 2013, à la suite des premiers essais randomisés dans cette indication (1), la greffe fécale s'imposait dans les recommandations. En France, c'est d'ailleurs à cette époque que le Pr Harry Sokol de l'hôpital Saint-Antoine a fondé le groupe français de transplantation fécale pour fournir un cadre à cette pratique. Le principe était simple : rétablir un microbiote riche et varié pour concurrencer le C. difficile. Les liens entre immunité et santé du microbiote étant bien documentés, on imaginait déjà l'application de la greffe fécale au traitement des maladies inflammatoires chroniques de l'intestin (Mici) et de la réaction du greffon contre l'hôte, complication de la greffe de moelle osseuse.
Où en est-on en 2023 ? La pratique reste marginale et relativement artisanale : la greffe fécale ne dispose pas de classification CPAM ni de valorisation, et il n'existe pas non plus de financement fléché de la coûteuse sélection des donneurs (environ 1 500 euros par donneur). Un peu moins de 1 000 greffes sont réalisées chaque année. « Théoriquement, nous devrions en faire au moins 10 fois plus, juste pour le traitement de l'infection récidivante à C. difficile, mais tous les médecins ne sont pas au courant de ce traitement et de son efficacité dans cette indication », constate le Pr Sokol, par ailleurs auteur d'une bande dessinée (2).
« Il y a eu peu d'évolutions en termes d'indications », reconnaît le Dr Julien Scanzi, responsable du centre de transplantation fécale au CHU de Clermont-Ferrand (site Estaing) et auteur d'un livre grand public sur le sujet (3). « Le gros problème, c'est qu'en dehors du C. difficile, nous ne comprenons pas encore comment la greffe fécale fonctionne dans les autres pathologies », poursuit-il.
Une marge de progression dans les Mici
Une des nouvelles indications envisagées est la lutte contre les Mici comme la maladie de Crohn ou la rectocolite hémorragique. Dans ce domaine, les résultats des essais sont mitigés.
Dans la rectocolite hémorragique, maladie pour laquelle seuls des traitements immunosuppresseurs sont disponibles, plusieurs études ont fourni des résultats encourageants. « Au cours des essais, des transplantations ont été faites chez des patients lors des crises, avec des taux de 30 % de rémission contre 5 à 10 % dans les groupes contrôle, indique le Pr Sokol. C'est donc une piste pour traiter les patients en phase aiguë. » En 2021, des chercheurs australiens ont évalué la greffe fécale par voie orale dans cette indication, dans le cadre de l'essai randomisé en double aveugle Lotus mené sur 35 patients (4). Au bout de huit semaines, 53 % des patients greffés n'avaient plus besoin de corticoïdes contre 15 % dans le groupe placebo.
Quelques éléments dans la maladie de Crohn
Les données sont un peu plus préliminaires en ce qui concerne la maladie de Crohn. L'équipe du Pr Sokol a mené une première étude pilote sur huit patients transplantés, comparés à neuf patients avec simple simulation de transplantation (5). Au bout de 10 semaines, 44 % des patients du groupe contrôle et 87,5 % des patients transplantés n'avaient plus besoin de corticostéroïdes. Au bout de 24 semaines, ces pourcentages étaient de 33,3 % dans le groupe contrôle et de 50 % dans le groupe traité. Bien que le critère primaire d'évaluation n'a pas été atteint, les médecins de l'hôpital Saint-Antoine viennent de commencer une nouvelle étude, avec un effectif plus important.
Dans le syndrome de l'intestin irritable, « les études disent tout et son contraire, résume le Pr Sokol. Il semblerait que l'efficacité dépende du donneur, du receveur et de la compatibilité entre les deux. » Cet « effet donneur » n'existe pas dans le traitement du C. difficile mais est observé dans toutes les maladies chroniques auxquelles les chercheurs se sont attaqués.
Greffe de cellules souches et immunothérapie
Lors des greffes de moelle ou de cellules souches, les médecins constatent une forte mortalité liée à une réaction immunitaire du greffon contre l'hôte, particulièrement au niveau digestif. « Nous avons naturellement été amenés à tester la greffe fécale, car cette réaction est en partie due à des dysbioses intestinales majeures induites par la chimiothérapie de conditionnement et les antibiothérapies », explique le Dr Scanzi.
La greffe fécale est aussi envisagée en soutien du traitement du cancer par immunothérapie. Dans cette dernière indication, deux études prometteuses, mais sans bras contrôle, ont été réalisées chez des patients atteints de mélanome (6). Le but à terme serait d'isoler des facteurs de risque de non-réponse au traitement et de coupler une immunothérapie avec une greffe fécale provenant d'un patient répondeur, ou encore avec des bactéries intestinales porteuses de l'effet thérapeutique.
Le Dr Davido a lui tenté, dans son service, d'éradiquer des résistances aux antibiotiques sans obtenir de résultat décisif : « on atteignait tout de même 45 % de succès, soutient-il. On doit pouvoir améliorer ce résultat en faisant des recombinaisons. ». Dans une revue de la littérature qu'il a publiée en mai 2019 (7), le Dr Davido concluait que la greffe fécale telle qu'elle était pratiquée contre le C. difficile ne fonctionnait pas avec le même taux de succès contre les infections par des bactéries résistantes.
« Environ 30 % des gens qui reviennent de pays où il y a de forte prévalence de bactéries multirésistantes en ramènent dans leurs selles, explique l'infectiologue. Pourquoi ce n'est pas le cas des 70 % qui restent ? Sans doute car ils sont porteurs de bactéries qui luttent contre l'implantation de ces bactéries résistantes. Il faut les identifier. »
Une utilisation réservée à la phase aiguë
Les différents experts sollicités s'accordent sur le fait qu'il est difficile d'envisager que la greffe fécale puisse être utile dans le traitement de maladies chroniques et fréquentes, notamment pour des raisons logistiques. En revanche, pour des pathologies aiguës, les perspectives semblent meilleures… à condition de comprendre comment sélectionner les donneurs. Le groupe français de transplantation fécale mise beaucoup sur la cohorte Cosmic qui vise à suivre les couples donneurs/receveurs pendant trois ans.
Mais la tâche est immense : le microbiote ne se constitue pas que de bactéries, mais comprend aussi des champignons, des virus, des archées… « À l’heure actuelle, on n'analyse peut-être que 30 % de ce qu'il y a dans les microbiotes, déplore le Dr Scanzi. On ne dose pas les métabolites comme les acides gras à chaînes courtes par exemple, qui pourraient participer à l'efficacité de la greffe fécale. On se focalise encore sur les bactéries et on passe à côté de certaines choses. »
(1) Els Van Nood et al, NEJM, janvier 2013. DOI: 10.1056/NEJMoa1205037
(2) Sokol Harry et Judy. Les extraordinaires pouvoirs du ventre. Éditions De Boeck Sup. 2022. 160 pages.
(3) Incroyable microbiote !, édition Leduc
(4) Craig Haifer et Al, The Lancet Gastroenterological Hepatology, décembre 2021. doi: 10.1016/S2468-1253(21)00400-3,
(5) H. Sokol et al, Microbiome, février 2020. DOI : 10.1186/s40168-020-0792-5
(6) E. Baruch et al, Science, décembre 2020, vol 371, n°6529, p602-609
(7) B. Davido et al, International Journal of Antimicrobial Agents, mai 2019, volume 53, n°5, p553-556