Cantonnée pour le moment à l'infection récidivante à Clostridioides difficile, la greffe fécale reste une pratique relativement artisanale. Mais que se passera-t-il si les indications viennent à s'étendre ? « La rectocolite hémorragique, c'est plusieurs dizaines de milliers de patients par an, les maladies inflammatoires chroniques de l'intestin (Mici) concernent près de 250 000 Français, et je ne parle même pas des patients atteints de cancer. On aurait besoin de véritables banques de selles pour répondre à cette demande », prévient le Dr Julien Scanzi, gastroentérologue au CHU de Clermont-Ferrand (site Estaing) et responsable d'un centre de référence en greffe fécale.
Des projets sont en cours : à Paris, la banque fécale de l'AP-HP renferme déjà de quoi réaliser « plus de 200 transplantations par an », explique son coordonnateur, le Pr Harry Sokol, gastroentérologue à l'hôpital Saint-Antoine (AP-HP). D'autres banques existent en France, et les chercheurs mènent un travail d'homogénéisation des protocoles.
Dans une optique plus strictement orientée vers la recherche, le projet French Gut vise à récolter, d'ici à 2027, 100 000 échantillons fécaux couplés à des informations nutritionnelles et cliniques précises de volontaires français. Ce projet, porté par l'Inrae en partenariat avec l'AP-HP, l'Inserm et AgroParisTech, a déjà commencé une phase pilote en septembre 2022 afin de collecter les 3 000 premiers échantillons.
À Amsterdam, la Netherlands Donor Feces Bank, historiquement la première banque de selles du monde, a collecté, entre 2016 et 2021, près de 1 500 échantillons de 30 grammes prêts à être transplantés.
Toutes ces banques sont mises à contribution pour essayer d'éclairer les nombreuses zones d'ombre, à commencer par la connaissance des critères associés au succès ou à l'échec d'une greffe fécale.
Les donneurs sous contrainte
Mais pour être opérationnels, ces projets de banques fécales devront faire face au récurrent problème de recrutement des donneurs. Le prélèvement en lui-même est désormais facilité par la mise au point de dispositifs de dons non stériles et faciles d’emploi. « La sélection imposée par l'Agence du médicament (ANSM) est très contraignante, regrette le Dr Scanzi. Le questionnaire et le screening biologique éliminent 95 % des donneurs sains ! ». Ces freins, y compris le coût, poussent les centres à tenter de fidéliser au mieux les donneurs dont le screening est févorable. « Plus on arrive à faire de transplants sur une période de don, plus le prix unitaire diminue, calcule Mathieu Wasiak, pharmacien référent au CHU de Clermont-Ferrand. Avec un seul donneur, on peut couvrir un an des besoins actuels de notre centre. »
Si la préparation des échantillons à conserver revient aux pharmaciens hospitaliers, leur caractérisation requiert d'autres compétences. « Ce n'est pas un produit stable comme une préparation magistrale classique. La greffe fécale se rapproche d'un médicament biologique, mais avec des propriétés qui lui sont uniques. Il faut faire intervenir les biologistes et les parasitologues, estime Mathieu Wasiak. La composition peut évoluer au fil des années, de même que le caractère revivifiable. Selon le consensus international (1), on peut prétendre à une durée de stabilité qui va jusqu'à deux ans avec une cryoconservation à -80 °C. »
(1) G. Cammarota et al, Gut, janvier 2017. DOI : 10.1136/gutjnl-2016-313017
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