L'albumine est-elle efficace pour réduire les complications de la cirrhose chez les patients en décompensation aiguë (DA) ? La récente étude Attire publiée dans « The New England Journal of Medicine » (1) répond par la négative chez 777 patients ayant une cirrhose d’origine majoritairement alcoolique. « Ces résultats suggèrent fortement que dans une population de sévérité modérée, il n’y a pas d’indication à l’utilisation systématique d’albumine à l’hôpital », commente le Dr Richard Moreau, hépatologue à l’hôpital Beaujon et chercheur Inserm.
La question de l’utilité de l’albumine en prévention dans la cirrhose se pose depuis plusieurs années. Certes, aujourd’hui, seules trois indications de l’albumine dans la cirrhose sont acceptées dans toutes les recommandations internationales : paracentèse évacuatrice > 5 litres, infection du liquide d’ascite et syndrome hépatorénal de type 1. Mais deux types de résultats ont laissé penser que la molécule pourrait avoir des bénéfices supplémentaires.
Des études physiopathologiques suggéraient un effet anti-inflammatoire de l’albumine chez les patients cirrhotiques en décompensation. Et en 2018, l’étude italienne Answer publiée dans « The Lancet » en 2018 (2) a fait l’effet d’un « coup de tonnerre ». « Dans cet essai, l’administration d’albumine pendant 18 mois s’est traduite par une amélioration de 38 % de la survie chez 440 malades ascitiques et ce, avec moins de complications infectieuses, rapporte l’hépatologue. L’albumine, considérée jusque-là comme une solution de remplissage, semble présenter des propriétés immunomodulatrices avec un impact sur l’inflammation systémique ».
La cible d’un taux d’albumine ≥ 30 g/l
Ces résultats n’ont pas été retrouvés dans le contexte très différent de l’étude Attire. L’essai randomisé en ouvert coordonné par l’University College de Londres a inclus des patients hospitalisés pour DA de cirrhose et dont le taux d’albumine sérique était inférieur à 30 g/litre. De l’albumine à 20 % était administrée au groupe traité en visant une cible ≥ 30 g/l jusqu’à 14 jours ou jusqu’à la sortie, quand le groupe contrôle recevait des soins standard.
Au total, les patients du groupe albumine ont reçu une quantité médiane de 200 g de la protéine, par rapport à 20 g dans le groupe standard. Aucune différence n’a été constatée entre les deux groupes sur le critère de jugement composite incluant la survenue d’une nouvelle infection, une dysfonction rénale ou le décès entre le 3e et le 15e jour après la mise en route du protocole : 29,7 % (n = 113/380) dans le groupe albumine par rapport à 30,2 % (n = 120/397) dans le groupe standard.
Tout n’est pourtant pas dit
Pourtant, si l’on y regarde de plus près, l’essai ne ferme pas entièrement la porte. « Dans Attire, la mortalité à trois mois est d’environ 20 % dans les deux groupes, ce qui signifie que les patients ne présentent pas de défaillance d’organe majeure », explique le Dr Moreau. Dans l’étude Canonic (3), le Dr Moreau et son équipe ont évalué la mortalité de la DA dite ACLF pour "Acute Chronic Liver Failure", qui est distincte de la DA traditionnelle et qui est caractérisée par la présence de défaillance(s) d’organe. « La mortalité à trois mois de l’ACLF est d’environ 50 %, ainsi un chiffre de 20 % correspond à un stade de sévérité modérée, rapporte-t-il. S’il est indéniable que les participants d’Attire ont une forme évoluée de cirrhose, il existe environ 30 % de malades allant encore moins bien, pour lesquels l’albumine systématique pourrait se révéler intéressante ».
Autre point de discussion, l’albumine a été administrée durant quelques jours lors de l’hospitalisation dans l’étude britannique, quand elle l’a été au long cours dans Answer. « L’étude italienne a inclus des patients traités par diurétiques et suivis en consultation, souligne le chercheur. L’idée était de tester l’utilisation prolongée d’albumine par rapport à l’administration ponctuelle qui en est faite encore aujourd’hui. Il y a un enjeu économique mais, si les bénéfices venaient à se confirmer, cela mériterait d’être évalué : un moindre recours à la transplantation pourrait compenser les coûts non négligeables d’une telle prise en charge ».
Pour l’hépatologue, si l’étude Attire ne se révèle pas concluante dans la population étudiée, tout n’est pas encore joué pour l’albumine en prévention. « Les pour et les contre se départagent à 50 %, rapporte-t-il. Il y a encore des travaux à mener sur l’intérêt de la molécule », que ce soit dans les formes les plus avancées de cirrhose mais aussi pour l’administration au long cours.
(1) L. China et al. NEJM, 2021. DOI:10.1056/NEJMoa2022166
(2) P. Caraceni et al. Lancet, 2018. doi.org/10.1016/S0140-6736(18)30840-7
(3) R. Moreau et al. Gastroenterology, 2013; 144:1426-1437
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