LE QUOTIDIEN : Quelles sont les étapes de la prise en charge de l'infertilité où des progrès semblent possibles ?
Pr MICHAËL GRYNBERG : Tout d'abord, je veux insister sur les problèmes qui ne sont pas solubles. Par exemple, le vieillissement de la population qui tente d'avoir un enfant : on ne sait pas contrer la baisse de qualité des ovocytes liée à l'âge. La première avancée consisterait en une prise de conscience globale des problématiques de la fertilité. Les gens doivent cesser de voir l’AMP comme un remède miracle. Il faut aussi une prise en compte des facteurs favorisant l'infertilité : polluants, pesticides, surpoids, infections sexuellement transmissibles (IST)…
Le mythe de la préservation de la fécondité par congélation des ovocytes qui permettrait de faire à coup sûr des enfants plus tard doit être remis en question. Les chances de succès d'une FIV réalisée à partir des ovocytes congelés à 25 ans sont les mêmes que celles d'une AMP faite à 25 ans, c’est-à-dire moins de 65 %. Rappelons que les FIV à partir d'ovocytes frais fonctionnent mieux que celles à partir d'ovocytes congelés.
Ces techniques de conservation ne doivent-elles pas être améliorées ?
Il est vrai que la conservation ovocytaire est imparfaite aujourd’hui. Il faut aussi que l'on améliore les conditions de culture pour augmenter le nombre d'embryons qui arrivent à J5. On ne sait pas non plus comment sélectionner les spermatozoïdes, et il y a aussi toute la problématique autour de l’implantation de l'embryon et de l'amélioration de l’environnement utérin. Ce sont des champs de recherche énormes.
Pensez-vous que les techniques de stimulation ovarienne actuelles sont assez performantes ?
On est plutôt pas mal sur tout ce qui concerne la stimulation. Le problème de base reste la faiblesse de la réserve ovarienne. En revanche, le processus reste trop lourd : cela fait trente ans qu'on demande aux femmes de se faire des injections tous les jours. Il est temps de développer des formes orales, ou au moins des injections moins fréquentes avec des produits à longue durée d'action.
Ces innovations sont-elles correctement évaluées avant d'être proposées aux couples ?
Il y a un business de plusieurs milliards d’euros de chiffre d’affaires autour de la fertilité, ce qui n'est pas propice à la mise en place d'évaluations rigoureuses. Nous sommes confrontés à des gens dans une souffrance dramatique de ne pas avoir d'enfant, prêts à tester tous les trucs les plus expérimentaux. Il est très facile de monter des start-up et de surfer sur le malheur des gens.
Nous sommes confrontés à des gens dans une souffrance dramatique, prêts à tout tester
On peut citer l’exemple de MatriceLab qui propose une caractérisation immunologique de l'endomètre aux femmes confrontées à des échecs répétés d’implantation. Quand j'enquête auprès de mes collègues, ils me disent ne pas y croire mais l'utiliser quand même de peur de perdre des patientes.
De même, des cliniques privées ont proposé pendant des années des analyses de réceptivité de l'endomètre (ERA) facturées 600 euros le test, sans qu'aucune étude comparative n'ait été faite. Ce n'est qu’au bout de quinze ans que des travaux sérieux ont été menés par des chercheurs indépendants (1; 2). Ce test n’est plus proposé.
Ces effets de mode jouent aussi sur le fait que les médecins sont très frustrés de ne pas avoir de meilleurs résultats. C'est très dur de faire quinze ans d'études pour finir par avouer qu'on ne comprend rien à ce que l'on fait. Il s'agit à mon avis d'approches porteuses et intéressantes qui doivent être approfondies mais ces technologies sont proposées trop tôt.
N'y a-t-il tout simplement pas assez de recherche fondamentale ?
C'est un véritable problème. Nous n’avons pas les connaissances pour évaluer correctement la fertilité des couples aujourd'hui. C'est pourquoi je suis contre les bilans de fertilité : dès que ces tests ne sont pas dans des valeurs extrêmes – trompes bouchées, spermogramme nul, etc. –, ces tests ne sont pas du tout informatifs. Nous disposons de plein d'exemples, dans nos consultations, de couples dont tous les examens sont normaux et qui n'arrivent pas à concevoir, où d'embryons magnifiques qui ne s’implantent pas. On est très mauvais pour tout ce qui concerne les marqueurs d'infertilité.
(1) I. Zolfaroli et al., Journal of Assisted Reproduction and Genetics, avril 2023, vol 40, p 985-994
(2) Y. Mei et al., Frontiers in Endocrinology, octobre 2023. DOI : 10.4488/fendo.2023.1251699
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