L’éviction thérapeutique généralement appliquée pour traiter une allergie à un aliment n’est guère satisfaisante. Non seulement, elle altère la qualité de vie et peut générer des troubles névrotiques de conduites alimentaires, mais en plus l’éviction stricte ne met pas à l’abri du risque d’anaphylaxie sévère, ce en raison de la fréquence des allergènes masqués : arachide, lait de vache, de chèvre et de brebis. Par ailleurs, l’absence de contacts avec la source allergénique ne permet pas l’installation de la tolérance. Après une période d’éviction, une sursensibilisation peut même être constatée au test de provocation orale (TPO). Le seuil réactogène est alors plus bas et les symptômes cliniques plus sévères. D’où l’idée de recourir à l’immunothérapie, déjà utilisée avec succès pour les allergies respiratoires. Elle a été évaluée par les voies sous-cutanées (ITSC), sublinguale (ITSL) et orale (ITO). L’ITSC s’accompagnant fréquemment de réactions systémiques sérieuses, elle a donné lieu à peu d’études. Quant à l’ITSL, elle donne des résultats partiels. En revanche l’ITO semble très prometteuse.
La voie sublinguale.
L’efficacité de l’ITSL pour les aéroallergènes (pollens, acariens) est bien établie. Elle a été testée d’une part pour les allergies croisées aéroallergènes/aliment, avec des résultats mitigés. Il s’agit notamment de l’allergie au pollen de bouleau accompagnée d’une allergie à la pomme ou à la noisette.
Des ITSL directes aux aliments ont aussi été testées, avec la noisette, le kiwi, les laits animaux et l’arachide. Cette dernière cause une des allergies alimentaires les plus sévères, avec un taux de guérison naturelle de 10 à 20 %. Une étude (1) chez dix-huit enfants présentant une telle allergie a consisté à administrer des doses progressives de 250 ng à 2 mg/j de protéines d’arachide pendant douze mois. Une augmentation du seuil réactogène, au TPO, était alors constatée dans le groupe ayant reçu le traitement : 1 710 mg contre 85 mg dans le groupe contrôle. Au bout d’un an, 50 % des patients toléraient l’équivalent de sept cacahuètes.
« L’ensemble des résultats obtenus avec l’ITSL suggère que cette voie augmente le seuil réactogène mais ne permet pas d’obtenir une tolérance aux doses usuelles de l’aliment considéré. Elle doit donc être réservée aux sujets les plus allergiques, comme première étape avant l’immunothérapie orale », conclut le Pr Denise-Anne Moneret-Vautrin.
L’immunothérapie par voie orale.
L’ITO se déroule en deux phases : une induction, de durée variable, au cours de laquelle une quantité progressivement croissante de l’aliment est ingérée. Puis, lorsque la dose optimale est atteinte, une phase de maintenance, avec ingestion d’une dose d’entretien, quotidiennement ou plusieurs fois par semaine. L’ITO a essentiellement été étudiée pour les allergies au lait, à l’œuf et à l’arachide.
Elle donne de bons résultats dans l’allergie aux protéines de lait de vache (APLV). C’est l’allergie la plus précoce et aussi la première à guérir spontanément, cependant avec une variation individuelle importante : de 26 à 80 % avant l’âge de 4 ans. « Selon les études d’ITO, on peut parler de guérison complète dans 36 à 89 % des cas, avec des variations en fonction de la sévérité de l’APLV et de la vitesse de la phase d’induction de la thérapie. Une tolérance partielle avec protection par rapport aux accidents anaphylactiques est obtenue dans 85 à 90 % des cas », précise le Dr Martine Morisset.
Quelques études d’ITO à l’œuf (cru ou cuit) ont également été réalisées avec des résultats satisfaisants ; 70,3 % des sujets allergiques à l’œuf tolèrent alors l’œuf cuit. Avec l’œuf cuit, les réactions indésirables au cours de l’ITO sont moins fréquentes et moins sévères.
Dans une étude récente sur 51 sujets (2), l’administration de doses croissantes de poudre d’arachide – 110 mg à 12 g par semaine sur 17 ou 34 semaines - s’est faite à domicile sans hospitalisation pour les paliers. L’efficacité globale a été de 92,1 %. La période d’escalade complète chez 48 sujets a été allongée à plus de 50 semaines dans deux cas. Des réactions indésirables ont été observées lors de moins de 0,5 % des prises. La maintenance par prise quotidienne de cacahuètes est assurée depuis 1 à 2 ans chez treize sujets. D’autres études ont confirmé l’efficacité de l’ITO à l’arachide. « L’ITO est une alternative thérapeutique acceptable, à condition d’être menée très progressivement et sur une longue durée », prévient le Dr Morisset.
Les protocoles d’induction de tolérance aux aliments étaient très attendus par les familles perturbées par une telle allergie. Même si les résultats ne peuvent être garantis à 100 %, une protection partielle prévient la survenue d’accidents anaphylactiques lors de l’ingestion accidentelle d’un aliment. La phase d’induction peut être longue et durer plus d’un an. C’est cependant la seule solution pour des sujets qui n’ont aucune chance d’amélioration spontanée après 10 ans. « La limite de l’ITO, remarque Martine Morisset, est la nécessité de poursuivre la phase de maintenance avec une prise quotidienne de l’aliment. Pour certains aliments comme l’œuf et le lait qui font partie de nos habitudes alimentaires, cela pose peu de problèmes. C’est moins vrai pour d’autres comme l’arachide, le poisson ou les fruits de mer. »
D’après les communications du Pr Denise-Anne Moneret-Vautrin et du Dr Martine Morisset du CHU de Nancy lors de la session « Immunologie aux aliments ».
(1) Kulis M et al. Immunol Res 2011 ;49:216-26
(2) Moneret -Vautrin et coll. Rev Fr Allergol 2010;50:434-42
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