Depuis le début de l’épidémie partie de Guinée, en décembre 2013, le dernier bilan de l’OMS (26 août) fait état de 3 069 cas déclarés de maladie à virus Ebola, dont 1 552 décès. Jamais, depuis la découverte du virus en 1976, cette fièvre hémorragique n’avait autant tué. Sur la vingtaine d’épidémies, la plus meurtrière était restée la première, celle de 1976 avec 431 décès. Et l’épidémie actuelle de souche Ebola Zaïre (EBOV) continue de progresser, de manière accélérée, avec « plus de 40 % du nombre total de cas survenus au cours des 21 derniers jours », selon l’OMS. Le Pr Peter Piot, co-découvreur du virus, a déclaré au journal « Libération » « tout est réuni pour que cela s’emballe ». Le coordinateur de l’ONU dans la lutte contre le virus Ebola, le Dr David Nabarro, a prévenu que l’épidémie était une « guerre » et pourrait prendre 6 mois encore.
La gravité de l’épidémie tient au virus lui-même, redoutable, et qui se transmet assez facilement, de proche en proche. « C’est la maladie infectieuse la plus létale », souligne Emmanuel Baron, directeur général d’Epicentre, centre de recherche épidémiologique affilié à Médecins Sans Frontières (MSF). Le taux de létalité est inégalé, d’environ 50 %, oscillant entre 25 et 90 % de la population touchée. Mais comment expliquer le caractère sans précédent de l’épidémie actuelle ?
Mobilité des populations
Conséquence du développement économique, la mobilité croissante des populations a joué un rôle déterminant et a déplacé l’épidémie vers les zones urbaines et périurbaines. « Auparavant, les épidémies étaient limitées aux petits villages, avec très peu de mouvements de population », poursuit l’épidémiologiste. La diffusion se fait très rapidement, au sein des pays -toutes les régions du Liberia sont désormais concernées-, et d’un pays à l’autre. Les quatre pays touchés, le Liberia, le Nigeria, la Sierra Leone et la Guinée, sont limitrophes, suivant les flux de population. L’épidémie de virus Ebola en République Démocratique du Congo (RDC), confirmée depuis le 25 août avec 13 décès déclarés, pourrait être distincte, ce qui sera tranché une fois les analyses microbiologiques en cours communiquées.
Des infrastructures fragiles
« L’état de délabrement des systèmes de santé en place est tel qu’ils ne peuvent tolérer l’arrivée d’un tel virus, analyse Emmanuel Baron. De la même façon, une épidémie de choléra en Haïti après le séisme de 2010 avait fait plus de 10 000 morts. Un pays développé aurait les capacités de faire face. La communauté internationale a des questions à se poser, ce sont les conséquences de systèmes de soins laissés à l’abandon ». Les organisations internationales prennent conscience de l’urgence à intervenir. L’OMS et l’ONU ont promis le 23 août des moyens sans précédent. L’agence américaine de développement (USAID) vient de livrer 16 tonnes de matériel médical au Liberia.« Il était temps que l’OMS réagisse. MSF est présent depuis mars. En mai, un article dans le "New England Journal of Medicine" tirait la sonnette d’alarme ».
Actuellement, plus de 1984 membres de MSF sont déployés sur place, avec cinq centres de prise en charge d’Ebola (2 en Guinée, 2 au Liberia et 1 en Sierra Leone) qui ont assuré plus de 1 885 admissions, dont 907 cas confirmés. « Les besoins les plus importants sont humains. Il faut apporter du soin, rassurer, expliquer. Les médecins ont un rôle à jouer » Les équipes locales sont insuffisantes, et les soignants fuient. Sans compter que la défaillance globale des structures de soins s’accompagne de décès collatéraux. « Un petit enfant en accès palustre a plus de risque de mourir en temps d’épidémie d’Ebola qu’en temps habituel ».
La perte de confiance des populations est largement incriminée. « Les grands messages de prévention ne sont pas écoutés, la défiance existe envers les autorités politiques, internationales, de santé. Les populations ont leurs propres perceptions et les croyances, en particulier pour les rites funéraires ». La cérémonie expose à un risque élevé de contamination, -le corps doit être lavé avec certaines protections-, mais aussi un risque élevé de diffusion, -des proches venant pour les funérailles repartent, parfois contaminés sans le savoir.
Des mesures coercitives et non « punitives
»
Le climat de peur ne facilite pas les choses et les messages sont parfois brouillés. Si les mouvements de population doivent être contrôlés, les moyens de communication sont nécessaires pour acheminer le matériel et le personnel. Pour MSF, la réponse internationale « reste dangereusement inadaptée ». Les pays sont de plus en plus isolés, seules deux compagnies desservent encore la Sierra Leone et le Liberia.
Les flux de populations doivent être limités, les mesures d’isolement respectées. « Le contrôle de l’épidémie ne pourra passer qu’avec des mesures coercitives prises par les autorités de santé, avec l’aide des autorités policières, de la douane, voire de l’armée ». L’arrivée d’un traitement curatif et surtout d’un vaccin seront les points d’orgue finaux de la lutte contre Ebola. « Si le virus avait touché un pays riche, le vaccin existerait sans doute déjà. Les pays concernés sont non solvables, et comme le nombre de cas était faible jusqu’à présent, cela n’a pas été considéré comme une priorité de santé publique ». Un éditorial du Lancet publié le 23 août faisait le même constat parlant de « faillite morale du capitalisme ». Le laboratoire GSK a annoncé le lancement d’un essai vaccinal de phase I de manière accélérée dès septembre.
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