Le muscle est un organe en apparence très simple mais encore aujourd’hui, les chercheurs réévaluent le fonctionnement des voies énergétiques et des différents métabolites produits. Le meilleur exemple reste l’acide lactique : autrefois décrit comme un déchet issu de la voie anaérobie lactique, il est aussi un substrat pour les fibres lentes, ce que l’on sait depuis 30 ans. Mieux : quand le muscle a le choix entre du glucose et de l’acide lactique, il va privilégier le second et éviter l’acidose. « On parle aussi de plus en plus de son rôle de régulateur de la masse musculaire, ce qui pourrait avoir un intérêt dans la récupération des blessures », ajoute la Pr Claire Thomas-Junius, directrice du Laboratoire de biologie de l’exercice pour la performance et la santé (LBEPS - Université Paris-Saclay, Université d’Évry, Irba) à l’occasion d’une table ronde organisée par le Collège de France. « Ce sont des rôles qu'on n’imaginait pas encore il y a encore deux ou trois ans ! », souligne-t-elle.
« Le lactate en tant que tel n'est pas néfaste », ajoute le Pr Frédéric Daussin, de l’unité de recherche pluridisciplinaire sport, santé, société (URePSSS, université de Lille) et spécialiste de la production d'énergie par le muscle. « C'est ce qu'on appelle maintenant un intermédiaire métabolique ayant une forte valeur énergétique, indique le chercheur. Le cœur est ainsi un très gros consommateur de lactate ». Plus un muscle est entraîné, plus ses fibres musculaires extraient des molécules de pyruvate à partir de lactate, pour l’exploiter dans ses mitochondries.
On a bien compris que le muscle était un organe endocrine, mais pour l’instant, c’est une espèce de soupe dont on ne sait pas grand-chose
Pr Fabrice Chrétien, de l’Institut de myologie et neuropathologiste à l’hôpital Sainte-Anne (Paris)
Des effets à distance sur d’autres organes
La chercheuse Caroline Cieniewski-Bernard, également à l’URePSSS, utilise les nouveaux outils d’analyse de la protéomique pour étudier les cellules musculaires. « Cela nous permet de voir sous un nouvel angle des régulations des interactions au sein du muscle et sur la structure même du muscle », explique-t-elle. Depuis quelques années, ce type de travail a levé le voile sur un rôle jusqu’ici insoupçonné : celui d’organe endocrine.
« Lors de l’effort, il y a des secrétions de myokines et d’exerkines, qui agissent sur le muscle lui-même, sur les tissus environnants et également à distance sur des organes tels le foie ou le cerveau, poursuit Caroline Cieniewski-Bernard. Le terme de myokines a été défini pour la première fois en 2003. Cette notion récente permet de remettre l'exercice au centre des bienfaits du sport sur plusieurs pathologies. » Récemment, on a découvert que le lactate pourrait participer à la neurogenèse. « La compréhension de ces mécanismes est un champ de recherche en peine émergence », explique Frédéric Daussin.
« On a bien compris que le muscle était un organe endocrine, mais pour l’instant, c’est une espèce de soupe dont on ne sait pas grand-chose », relativise le Pr Fabrice Chrétien, de l’Institut de myologie et neuropathologiste à l’hôpital Sainte-Anne (Paris). Le fait que les effets soient principalement paracrines ne simplifie pas l’exploration de ces mécanismes.
Des mécanismes importants pour la clinique encore à décoder
Les mécanismes énergétiques ne sont pas les seuls à être méconnus. La régénération musculaire, connue depuis 1961 avec la découverte de cellules souches musculaires, est encore très mal comprise. « On ne sait pas comment ni pourquoi ces capacités s’épuisent, regrette le Pr Fabrice Chrétien. En peu de temps, il peut passer d’un état où il se répare toutes les semaines, à un état où il n’y parvient plus et produit de la fibrose à la place. » Les neuromyopathies acquises en réanimation, ou les diaphragmites induites par la ventilation mécanique sont aussi méconnues, et donc difficiles à prévenir et traiter.
Dans leur appel pour un « plan Muscle », les signataires demandent un effort budgétaire public en faveur de la recherche, historiquement assuré par les fonds alloués à la neurologie. « Mais après le financement pour le système nerveux central, il ne restait plus grand-chose pour la moelle épinière, encore moins pour les nerfs périphériques et quasiment plus rien pour les muscles », explique le Pr Chrétien. Il n’y a ni commission dédiée au muscle à l'Inserm, ni appel de fonds ciblé. « L’essentiel repose sur les épaules de l'AFM-Téléthon », déplore le chercheur.
La recherche sur le muscle dopée par les JO
Au cours des mois qui précèdent la compétition, des chercheurs collaborent avec les fédérations françaises de cyclisme et d’aviron au sein du programme Très Haute Performance en cyclisme et en aviron (THPCA) 2024. Ce dernier se décline en trois axes, dont le premier est consacré à la production d’énergie musculaire.
Les scientifiques ont procédé à des biopsies musculaires et des mesures d’échange gazeux pendant l’effort afin de caractériser physiologiquement les athlètes, et notamment leurs besoins respectifs d’énergie pour produire un même exercice. À terme, ces données permettront de personnaliser les entraînements.
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