« Les stratégies de restauration s’appliquent aux personnes qui ont déjà vu. Les stratégies émergentes essayent de transformer un patient aveugle en mal voyant », expliquait le Pr José-Alain Sahel, directeur de l'Institut de la vision de Paris, lors d'une séance de l'Académie nationale de pharmacie intitulée « Les Nouvelles frontières thérapeutiques en ophtalmologie ». Derrière la modestie du propos, l'enjeu est important comme le souligne le Pr Sahel lui-même dans l'état des lieux qu'il publie avec le Pr Botond Roska, dans « Nature ».
« Cette synthèse offre l'occasion de montrer que le champ de la restauration visuelle a beaucoup évolué », indique au « Quotidien » le Pr José-Alain Sahel.
La restauration visuelle a en effet fait l'objet de réels progrès ces dernières années. Et si des obstacles restent encore à franchir, de nombreuses pistes thérapeutiques sont aujourd'hui à l'essai.
Trouver de nouveaux modèles
Ces dernières années ont vu des avancées thérapeutiques majeures. En décembre, la Food and Drug Administration (FDA) a approuvé la première thérapie génique chez des enfants souffrant d'amaurose congénitale de Leber - une dégénérescence rétinienne conduisant à la cécité (en Europe, la demande d'autorisation est en cours). La compréhension des mécanismes associés à la perte de la vision causée par des maladies a également progressé.
Plusieurs écueils demeurent toutefois. Un des enjeux consiste à utiliser de nouveaux modèles. « Le modèle classique de la souris présente des limites, notamment du fait que les souris n'ont pas de macula », explique le Pr Sahel. Des modèles alternatifs ont donc été développés : des organoïdes rétiniens créés à partir de biopsie de peau des patients, des rétines de donneurs décédés et des modèles animaux primates non humains (marmousets). « Ces modèles doivent encore fournir la preuve de leur pertinence en termes de toxicité et d'efficacité », souligne le Pr Sahel.
Rétine artificielle, optogénétique…
Plusieurs stratégies de restauration de la vision sont en cours de développement.
La rétine artificielle, qui consiste à implanter des photorécepteurs électroniques sur la rétine, fait déjà l'objet de résultats encourageants. L'institut de la vision s'est associé à l'université de Stanford pour mener à Paris et Pittsburgh un essai conduit par Pixium Vision (spin-off de l’institut de la vision) avec un implant de dernière génération sur dix patients atteints de dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA). L'optogénétique est également une piste prometteuse. Le principe : « Réactiver les cellules de la rétine par une technique de thérapie génique pour qu'elles expriment des protéines sensibles à la lumière », résume le Pr Sahel. Il précise : « un premier essai clinique piloté par GenSight Biologics, une autre spin-off de l’institut de la vision, va débuter prochainement en Angleterre dans la rétinopathie pigmentaire et nous l'espérons en France ». Ces deux technologies, rétine artificielle et optogénétique, impliquent le développement de lunettes spéciales.
Du côté de la thérapie cellulaire, les cellules souches embryonnaires et les cellules pluripotentes induites sont étudiées avec I-Stem (AFM-Téléthon) pour remplacer l'épithélium pigmentaire rétinien. Toutefois, « la preuve de concept n'est pas encore faite », note le Pr Sahel.
La thérapie génique est également pourvoyeuse d'espoir, avec une vingtaine d'essais cliniques en cours dans le monde pour la neuropathie de Leber et les dégénérescences rétiniennes.
Évaluer l'intérêt de ces technologies dans la vie quotidienne
Ces différentes technologies peuvent être utilisées seules ou combinées pour diverses pathologies. La distinction doit être faite entre les patients ayant une vision « utile » et ceux dont la vision est encore plus altérée. Selon le Pr Sahel, « les progrès de l'imagerie notamment permettent de mieux sélectionner les malades et de mieux cibler les thérapeutiques ».
Il souligne également l'importance de démontrer le bénéfice de ces thérapeutiques en termes de fonction visuelle, mais aussi de vision fonctionnelle : « c'est-à-dire qu'il faut montrer un bénéfice dans la vie quotidienne des patients. Cela implique de nouvelles méthodes d'évaluation, comme des tests de mobilité ».