Dans un contexte où la prévalence de l’obésité est importante et où une part importante de la santé à l’âge adulte se joue dans les 1 000 premiers jours de vie, la question se pose de la relation entre prise de poids pendant la grossesse et les « issues de grossesses ». Parmi celles-ci, il faut séparer les issues maternelles (HTA, prééclampsie, diabète gestationnel, rétention de poids après la grossesse) de celles qui concernent le fœtus (mort in utero, macrosomie ou gros poids pour l’âge gestationnel [GPAG], petit poids pour l’âge gestationnel [PPAG], prématurité, etc.).
Les cibles de prise de poids lors de la grossesse ont été proposées en 1990 puis validées en 2009 par l’Institute of medicine (IOM) américain (lire tableau). Ces recommandations sont reprises par la plupart des sociétés savantes. Ainsi, pour une femme en situation d’obésité, on visera une prise de 200 grammes par semaine au deuxième et troisième trimestre, et une prise de poids totale entre 5 et 9 kg.
L’obésité, à risque de complications
L’obésité préalable à la grossesse multiplie le risque de complications de celle-ci. Ainsi, par rapport à un IMC normal, il y a 2,2 fois plus de complications, et 23,9 % d’entre elles sont expliquées par l’obésité, tous grades confondus. Plus spécifiquement, le risque de diabète gestationnel est multiplié par 4,6 (en moyenne pour toutes les obésités, par 2,2 pour les surpoids et par 7,6 pour les obésités pour un IMC > 40), de prééclampsie et d’HTA de grossesse par environ 3,7 et de GPAG par environ 2,3.
La prise de poids en excès (par rapport aux cibles de l’IOM) ajoute un surrisque de complications, même après ajustement sur l’IMC de début de grossesse. Par exemple, pour le diabète gestationnel, c’est 14 % de risque supplémentaire par écart type (environ 2,5 kg) de gain de poids (1), et cela de façon à peu près linéaire. Ainsi, les effets d’un excès de poids au début de la grossesse et d’un gain de poids pendant les 20 premières semaines se cumulent pour augmenter le risque de diabète gestationnel.
Les conséquences d’une prise de poids insuffisante restent discutées
Cependant, 8 % des femmes, quel que soit leur poids, et de 12 à 15 % des femmes en situation d’obésité perdent du poids pendant la grossesse.
En 2022, une revue systématique avec métaanalyse de 54 études, qui concernaient plus de 30 millions de femmes, a suggéré qu’une prise de poids inférieure à la cible de l’IOM confère un risque de PPAG, même si l’analyse multivariée, prenant en compte tous les autres facteurs de croissance du fœtus, ne trouve pas d’effet significatif (2). À l’inverse, le risque de GPAG est réduit, de même que celui de prééclampsie. Une prise de poids inférieure à la cible serait sans effet sur l’incidence du diabète gestationnel. Les autres études vont à peu près dans le même sens, à la réserve de l’effet sur les PPAG, qui semble augmenté.
Il y a donc globalement une réduction des issues négatives de grossesse, au risque de PPAG, lequel expose au risque d’obésité, de maladies métaboliques et cardiovasculaires à l’âge adulte.
Dans le cas d’une perte de poids pendant la grossesse, Kapadia et coll. avaient colligé en 2015 les résultats de six études sur 61 000 femmes, et montré une augmentation du risque de PPAG (OR ajusté 1,76), une réduction du risque de GPAG (OR ajusté 0,57), mais sans effet protecteur vis-à-vis du diabète gestationnel ou de la prééclampsie (3).
Promouvoir une perte de poids entre les grossesses ?
Concernant le changement d’IMC entre deux grossesses, un registre des naissances de Californie, sur un peu plus d’un million de femmes, chacune avec un seul enfant, émet une alerte (4). Par rapport aux femmes dont l’IMC est stable entre les deux grossesses, le risque de mort fœtale in utero est augmenté, d’environ 17 à 26 %, pour celles qui perdent plus de deux points d’IMC.
La perte de poids dans ce contexte, dès un point d’IMC, réduit le risque de GPAG et augmente celui de PPAG. On retrouve donc le même type d’effet sur la croissance fœtale qu’une prise de poids inférieure aux cibles IOM pendant la grossesse, et il y a un lien entre PPAG et risque de mort fœtale in utero.
Nous avons vu qu’une prise de poids inférieure à la cible IOM ne réduisait pas le risque de diabète gestationnel. Or, une méta analyse sur plus de 500 000 femmes (5) montre qu’un changement de poids entre les grossesses réduit ce risque de 25 %. D’autres études le confirment (6). Un registre des naissances dans des pays européens, sur un peu plus de 2 500 grossesses, conclut que, quel que soit l’IMC (même quand il est inférieur à 25), une perte de poids entre les grossesses diminue le risque de diabète gestationnel (7).
Une réévaluation nécessaire
Il est probable que les recommandations de prise de poids pendant la grossesse méritent d’être reconsidérées au vu de ces nombreuses données. Une étude récente, publiée en novembre 2022 (8), portant sur 16 800 femmes Québécoises, suggère que, pour les femmes en situation d’obésité, la variation de poids pendant la grossesse qui réduit le plus les issues néonatales sévères se situe entre -1 et + 4 kg (OR ajusté 0,49). C’est une cible de poids équivalente qui réduit le risque des issues maternelles défavorables. Cette publication n’a pas encore analysé l’effet pour le diabète gestationnel.
La meilleure stratégie est sans doute la prévention, en réduisant le poids entre les grossesses, mais restant prudent à trois égards :
1. Il y a un surrisque de mort fœtale in utero.
2. En début de grossesse, il ne faudrait pas que la perte de poids induise des carences vitaminiques, car nous savons le risque de ces carences pour le fœtus.
3. Le choix de la stratégie de perte de poids est important. Les recommandations de l’IOM étaient intervenues dans un contexte où des diètes cétogènes avaient été rendues responsables de malformations fœtales.
En conséquence, une médecine prudente, préventive et personnalisée est sans doute à promouvoir. Une consultation prégrossesse serait une stratégie de prévention utile. Vu le nombre de publications, nous serons sans doute amenés à en savoir plus bientôt.
Exergue : La prise de poids inférieure aux cibles IOM ou la perte de poids entre les grossesses ont le même type d’effet sur la croissance fœtale
CHU et CIO de Toulouse (1) Santos S et al. BJOG. 2019 Jul; 126(8):984-95 (2) Mustafa HJ et al. Am J Obstet Gynecol MFM 2022;4:100682 (3) Kapadia MZ et al. PLoS ONE 2015 10(7):e0132650 (4) Abrams BF et al. Am J Obstet Gynecol MFM 2022;4:100596 (5) Nagpal TS et al. Obesity Reviews.2022;23:e13324 (6) Tangaratinam S et la. BMJ 2012 May 16;344:e2088 (7) Sorbye LM et al. BJOG 2020;127:1608-16 (8) Bujold L et al. J Obstet Gynaecol Can 2022 Nov;44(11):1143-52
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