La neuroprotection, entre espoirs et déceptions

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Publié le 16/05/2024
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SLA, Parkinson, Alzheimer… De plus en plus de maladies neurodégénératives font l’objet d’essais de neuroprotection. L’espoir est de pouvoir limiter la destruction du système nerveux en ciblant certains mécanismes physiopathologiques. Mais pour le moment, les quelques résultats positifs obtenus sont cliniquement peu significatifs et la recherche se heurte à divers obstacles.

Crédit photo : Marc Phares

Contre les maladies neurodégénératives telles que la sclérose latérale amyotrophique (SLA), la maladie de Parkinson ou la maladie d’Alzheimer, les options thérapeutiques disponibles continuent de relever, pour la plupart, de traitements symptomatiques. Toutefois, des approches de neuroprotection – visant à éviter la destruction du tissu nerveux et ainsi à ralentir la progression des symptômes cliniques en ciblant certains éléments impliqués dans leur physiopathologie – émergent, et suscitent de plus en plus de travaux. En 2023, sur 140 essais cliniques en cours dans la maladie de Parkinson, la part de composés neuroprotecteurs à l’étude approchait celle des candidats traitements symptomatiques.

Un concept séduisant…

Quelques toutes premières avancées ont été obtenues, soulignant la pertinence scientifique de la recherche d’agents neuroprotecteurs, et confirmant parfois le rôle de certaines voies physiopathologiques dans le développement des maladies neurodégénératives.

Ainsi, dans la SLA, plusieurs molécules ont donné des résultats positifs dans des essais cliniques. Citons le riluzole, à l’impact clinique confirmé et déjà commercialisé, mais dont le mode d’action exact reste méconnu. Dans le même esprit, le tofersen, oligonucléotide antisens ciblant la production de la superoxyde dismutase 1 (SOD1), impliquée dans une forme génétique très rare de la maladie (affectant moins de 1 000 patients en Europe), a induit une réduction des neurofilaments à chaîne légère associés à la pathologie et a été enregistré comme premier traitement de thérapie génétique dans la SLA.

Un autre exemple de molécules neuroprotectrices ayant passé la phase 3 des essais cliniques concerne les anticorps ciblant les plaques amyloïdes associées à la maladie d’Alzheimer. Alors qu’un premier représentant de cette classe pharmaceutique, l’aducanumab, a donné des résultats contradictoires quant à sa capacité à résorber les lésions amyloïdes associées à la démence et à ralentir la progression de la pathologie, reçu une AMM controversée aux États-Unis, puis cessé d’être produit, de nouveaux anticorps, le lécanémab et le donanemab, ont fourni des preuves plus solides de leur efficacité, et pourraient prochainement être autorisés en Europe (voir encadré ci-dessous).

Dans la maladie de Parkinson, un espoir est né début avril avec l’étude Lixipark, publiée dans le New England Medical Journal (NEJM). Ce travail a montré que l’administration précoce de lixisénatide, analogue du GLP-1 initialement développé dans le traitement du diabète avec un potentiel neuroprotecteur chez l’animal, s’est soldée par un ralentissement de la progression de la maladie chez des patients non diabétiques diagnostiqués depuis moins de trois ans et ne présentant pas encore de complications motrices.

En 2023, sur 140 essais cliniques en cours dans le Parkinson, près de la moitié testaient des composés neuroprotecteurs

 

… mais des bénéfices cliniques limités

Mais tous ces résultats, certes prometteurs sur le plan théorique, ne semblent pour le moment induire que des bénéfices assez limités sur le plan clinique. Ainsi, dans la SLA, le riluzole n’est associé à un gain de survie que de trois mois. Et dans Alzheimer, le lécanémab permettrait d’épargner seulement 1,4 point au score Adas-Cog en 18 mois de traitement.

Au-delà de ces quelques succès, la recherche sur la neuroprotection a aussi conduit à nombre de déceptions. Rien que depuis le début de l’année 2024, trois études très attendues dans la SLA ont abouti à des conclusions négatives. Par exemple, un antioxydant, l’édaravone, et l’AMX0035 (phénylbutyrate de sodium et ursodoxicoltaurine), qui avaient démontré des résultats très encourageants dans de grandes études de phase 2, se sont malheureusement révélés inactifs en phase 3.

En fait, les chercheurs continuent de se heurter à divers obstacles. À commencer par l’identification des mécanismes physiopathologiques réellement pertinents à cibler. D’où, par exemple, l’échec, il y a deux ans, de l’étude Fair Park-II : alors que la maladie de Parkinson s’accompagne d’une accumulation de fer dans le système nerveux central, l’administration d’un chélateur du fer, le défériprone, avait plutôt conduit à une aggravation de la maladie. Une neuroprotection pourrait néanmoins être obtenue avec des doses plus faibles et en association à la L-dopa.

De plus, tandis que les entités cliniques et diagnostiques actuelles réunissent sans doute des formes pathologiques hétérogènes de maladies neurodégénératives, certaines molécules neuroprotectrices pourraient ne s’avérer efficaces que dans certains sous-groupes de patients, difficiles à identifier. Aussi, les anticorps anti-amyloïdes pourraient s’avérer utiles surtout pour des patients présentant des formes d’Alzheimer très liées à l’amyloïde. Or l’identification de sous-types pathologiques pourrait rendre plus difficile encore le recrutement de patients dans divers essais cliniques – des maladies comme la SLA étant d’ores et déjà rares.

À la recherche de biomarqueurs

Un manque de biomarqueur des pathologies neurodégénératives et de l’intégrité du tissu nerveux complique non seulement l’identification de ces sous-groupes de pathologies mais aussi la mesure des effets neuroprotecteurs susceptibles de survenir dans les essais cliniques.

Enfin, les bénéfices cliniques de ces agents neuroprotecteurs concernant un ralentissement de la progression des maladies neurodégénératives, ces traitements sont destinés à des patients en phase précoce, parfois difficiles à diagnostiquer.

D’après un entretien avec le Pr David Devos (université de Lille, CHU Lille, U1172 Inserm), modérateur de la session CNP


Source : Le Quotidien du Médecin