De nombreux patients considérés comme à risque suicidaire se voient proposer une hospitalisation. Parmi les arguments étayant cette pratique : la possibilité de réaliser une évaluation psychiatrique, de proposer un traitement adapté et surtout de mettre en place une surveillance dans un environnement sécurisé, et, in fine, éviter le passage à l’acte et ses conséquences. Cependant, la place de l’hospitalisation dans la prise en charge des patients suicidaires est de plus en plus questionnée.
Des risques de passage à l’acte relativement faibles
Ne serait-ce que d’un point de vue pratique, une hospitalisation systématique en cas d’idées suicidaires peut se révéler difficile au regard du nombre d’individus concernés. Chaque année, selon le dernier baromètre santé, 5 % des adultes et 10 % des adolescents rapportent des idées suicidaires.
Et tous, en réalité, ne nécessitent pas forcément de surveillance à l’hôpital, la majorité ne passant pas à l’acte. Selon une méta-analyse de 2023, le taux de transition suicidaire varie entre 3 et 37 % - un chiffre estimé à 15 % par le dernier baromètre santé. Même chez les patients ayant déjà réalisé une tentative de suicide (TS), le taux de réitération ne dépasserait pas 16 %.
Ainsi, seuls les patients manifestant un risque élevé de suicide pourraient être ciblés. Mais l’évaluation du risque suicidaire reste peu fiable : selon une étude conduite en 2022 auprès de 1 800 patients admis aux urgences pour trouble psychiatrique, la capacité de cliniciens à prédire une TS à un et six mois s’avère très réduite, proche du hasard. Une méta-analyse (Woodford et al, 2022) retrouve par ailleurs une valeur prédictive positive du tri par les cliniciens entre patients à haut risque et à bas risque suicidaire de seulement 22 % et une sensibilité de 31 %.
Peu d’effet préventif
Par ailleurs, l’efficacité de l’hospitalisation pour éviter les suicides semble plutôt limitée. Deux anciens essais randomisés ayant comparé prise en charge hospitalière et suivi ambulatoire (Waterhouse et al, 1990 ; Van der Sande, 1997) ne retrouvent pas de différence en termes de taux de suicide entre ces deux modalités de traitement. Une étude de cohorte plus récente (Goldman-Mellor,2022) rapporte aussi, parmi plus de 37 000 patients admis aux urgences pour auto-agressivité puis hospitalisés, une absence de rôle préventif de l’hospitalisation sur l’acte et la réitération suicidaire – sauf peut-être chez les femmes de 40 à 49 ans. Une absence d’association entre hospitalisation et prévention de la réitération suicidaire également retrouvée dans une méta-analyse britannique (Carroll et al, 2014).
D’ailleurs, dans plusieurs pays où le nombre de lits de psychiatrie a été réduit, aucune variation de l’incidence du suicide n’a été enregistrée. C’est le cas en Finlande comme aux États-Unis. Et en Italie, où le nombre de lits a drastiquement chuté, le taux de suicide diminue.
Le type d’hospitalisation ne semble pas avoir d’impact sur le nombre de suicides. En témoigne un travail du Lancet Psychiatry (Hyber et al,2016) ayant inclus près de 350 000 patients entre 1998 et 2012, qui conclut à un risque de suicide comparable en unité fermée ou ouverte.
Seul le timing de l’hospitalisation pourrait jouer un rôle. C’est ce que suggère une récente étude observationnelle (Ross et al, 2023) conduite auprès de 200 000 vétérans de l’armée américaine. Dans ce travail, un bénéfice de l’hospitalisation a pu être observé uniquement pour les patients admis dans les 24 heures suivant une TS. Dans tous les autres cas, l’hospitalisation se révélait autant protectrice qu’associée à un risque suicidaire accru.
De plus en plus d’articles pointent d’ailleurs la nocivité de l’hospitalisation en psychiatrie vis-à-vis du risque suicidaire. Une méta-analyse de 44 études (Walsh et al, APS, 2015) confirme qu’en unité hospitalière de psychiatrie, les suicides restent 12 fois plus fréquents qu’en population générale. Et une étude de causalité entre hospitalisation en psychiatrie et TS ultérieure (Large et al, 2017) retrouve trois critères de causalité – sur cinq.
Pour expliquer cet effet potentiellement néfaste de l’hospitalisation, l’hypothèse de la persistance d’une certaine « violence » à l’égard des patients est soulevée. Ainsi, dans un travail qualitatif (Jenkin et al, 2022), des patients suicidaires hospitalisés en psychiatrie décrivent un ennui, mais aussi un sentiment d’infantilisation par une médecine paternaliste, un isolement, une surmédication, etc. Un quart des patients hospitalisés rapporteraient un sentiment de coercition les conduisant à envisager un renoncement aux soins ultérieurs (Silva et al, Psychiatric Quaterly 2023, Jina Petterson, 2022).
La sortie d’hospitalisation, période sensible
Enfin, la sortie d’hospitalisation est une période à risque dans la mesure où plusieurs études confirment l’augmentation du risque de TS après la sortie de l’hôpital. La première semaine post-opératoire hospitalisation resterait particulièrement clé.
Dans ce contexte, des alternatives à l’hospitalisation se dégagent : soins intensifs ambulatoires (qui aboutiraient à moins d’épisodes multiples d’auto-agressivité chez l’adolescent), thérapies familiales intensives, hôpitaux de jour (en cas d’idées suicidaires très marquées), rappel téléphonique, identification des modalités de coping avec les patients, etc.
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