LE QUOTIDIEN DU MEDECIN : Comment qualifieriez-vous la crise actuelle ? Était-ce un scénario imaginable ?
MARISOL TOURAINE : Depuis le SRAS en 2003, on redoutait un scénario comme celui-ci, et l’on s’y préparait. Cet événement est néanmoins impressionnant par son ampleur et ses répercussions mondiales. Un tiers de la population mondiale est confiné. Cela nous amène à réfléchir à nos capacités de réaction nationales, mais aussi et surtout internationales. En effet, les États ont réagi - et les réactions ont souvent été de qualité — mais sans coordination. Certes, l’OMS a joué son rôle d’alerte et d’aide aux pays du sud, mais quid de l’Europe ? L’Union Européenne s’est construite après des crises. Celle que nous traversons aujourd’hui doit être l’occasion de penser une véritable Europe sanitaire et sociale.
Le gouvernement a-t-il assez anticipé les événements et pris les bonnes décisions au bon moment ?
Le temps de l’analyse et de l’évaluation viendra. Dans toutes les crises, des choix sont faits en fonction de l’information et des moyens dont on dispose à un moment donné. Il faut faire preuve d’humilité dans la tourmente. La compréhension fine, le retour d’expériences, et pourquoi pas la critique, seront nécessaires le temps venu. Mais il est regrettable que dans la crise certains cherchent à accuser les autres.
A quoi pensez-vous ?
Je pense par exemple à la polémique sur les masques, qui deviennent le symbole de ce que certains auraient fait ou pas fait. Le nombre de masques chirurgicaux n’a non seulement pas baissé entre 2012 et 2017 mais a même régulièrement augmenté : en 2012, il y en avait 730 millions, et nous en avons laissé un stock de 754 millions en 2017, et ce malgré le "changement de doctrine" de 2011 lié à un avis du Haut conseil de la santé publique. Au-delà des stocks d’État, il avait été demandé à chaque employeur de créer des stocks, pour ses salariés ou agents : la mairie de Paris, par exemple, l’a fait.
La question que l’on devra se poser sereinement une fois la crise passée concerne non pas le stock mais la capacité de production de masques de notre pays; on pourra alors s’interroger sur notre dépendance par rapport à une production étrangère, chinoise ou autre d’ailleurs. Mais aujourd’hui, nous sommes dans le temps de l’action, alors même que des femmes et des hommes risquent leur vie pour nos concitoyens malades.
Avez-vous l'impression que la capacité d'intervention du ministère de la Santé en cas de crise s'est améliorée depuis l'époque où vous étiez ministre ?
Durant le quinquennat de François Hollande, grâce aux recommandations des experts consultés, la France était solide et préparée et le ministère a fait face à des évènements majeurs tels que le MERS-Cov, Ebola ou d’autres crises. Notre système hospitalier s’est adapté aussi, à la suite des attentats terroristes. Notre capacité d’anticipation et de réactivité est montée en puissance et celle du ministère continue de le faire. On apprend toujours des expériences passées.
S'il fallait avancer une idée pour améliorer la stratégie actuelle ?
Je préfère éviter les incantations. Il est important, dans pareilles circonstances, de dire très simplement ce qui fonde les choix faits - c’est d’ailleurs ce que font le Président, le Premier ministre et le ministre de la Santé - et comment avance la stratégie. Pour rassurer, il faut rester transparent.
Quelles leçons tirez-vous des crises que vous avez vécues lorsque vous étiez ministre ?
Le ministère de la Santé est par définition exposé à des crises. L’actuelle est inégalée par son ampleur et parce qu’on ne dispose encore ni de vaccin ni de traitement. La question de l’anticipation et de l’attention aux signaux les plus faibles est très importante. Nos systèmes sont conçus pour réagir à partir d’éléments connus alors que le plus difficile est d’évaluer les phénomènes mal identifiés. À cet égard, il faut une part d’intuition de la part des politiques.
Que peut faire Unitaid que vous présidez face à une telle crise ?
C’est une organisation qui trouve des solutions innovantes pour favoriser l’accès à la santé, par exemple en faisant baisser les prix des médicaments. Aujourd’hui, nous travaillons sur des pathologies connues : Sida, tuberculose, hépatite C, certains cancers… L’irruption du Covid-19 nous amène à nous engager dans deux directions : l’accès et le suivi des patients fragiles, dès à présent ; et lorsqu’il y aura des traitements disponibles, nous mettrons en œuvre notre expérience pour faire baisser les prix.
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