Débat sur la fin de vie

La parole aux soignants

Publié le 03/03/2011
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Crédit photo : S. TOUBON

C’ÉTAIT en janvier, dans l’effervescence du débat sur l’euthanasie, alors que le Sénat devait se prononcer sur une proposition de loi visant à instaurer « une assistance médicalisée pour mourir ». Le texte prévoyait que tout malade « capable majeur », en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, puisse demander à bénéficier « d’une assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort rapide et sans douleur ». Il précisait également que si le médecin refusait de participer à une telle procédure, il lui revenait d’orienter son patient vers un autre confrère.

Un faux-fuyant inacceptable pour le Dr Bernard-Marie Dupont (spécialisé en soins palliatifs), qui, interrogé par « le Quotidien », fulminait contre cette voie sans issue. « Les soignants sont pris en otage. Il faut respecter le droit des patients en fin de vie mais en même temps, les praticiens se devraient de donner la mort ! ». L’Ordre national des médecins dénonçait, de son côté, la « pression d’une extrême violence » exercée à l’encontre des médecins à qui l’on demandait de « faire un geste létal contraire à leur éthique sans respecter leur conscience ». Sur le site, un internaute s’indignait : « Un droit à la mort serait une impasse éthique pour les professionnels. La législation actuelle est suffisante, il faut la laisser comme elle est. Les médecins ne sont pas des bourreaux. »

Reconnaissance.ù

Puis vint le courriel du Dr Didier Mayeur, oncologue médical à l’hôpital Mignot du Chesnay (78) et responsable de l’unité douleur, qui nous apprenait que son hôpital avait été labellisé par l’European Society of Medical Oncology comme « centre intégré d’oncologie et de soins palliatifs ». « Cette distinction reconnaît l’intégration effective de la démarche palliative par les médecins et les soignants au sein de l’établissement, dès le début de la prise en charge si nécessaire et, dans tous les cas, sans qu’il y ait de rupture brutale dans celle-ci », expliquait-il. « Et il est intéressant de noter que, grâce à cette démarche, nous ne sommes quasiment jamais confrontés à des demandes d’euthanasie active de la part des malades ou de leur famille. » La proposition de loi ayant été entre temps rejetée par les sénateurs, restait la curiosité de savoir comment l’hôpital Mignot avait conquis ce Graal, partagé, en France, par les seuls instituts Gustave Roussy (IGR) et Curie.

« Ce diplôme, qui est la reconnaissance de l’engagement des équipes, représente une réalité et nous encourage à poursuivre notre travail », indique le Dr Mayeur. Tous les ingrédients étaient réunis : une « culture d’établissement » pour le traitement de la douleur avec un budget à la clé, la volonté des équipes et la création, il y a un an, d’une équipe mobile de soins palliatifs qui se déplace dans tous les services. « L’idée est que le patient n’est jamais abandonné, quel que soit le temps de sa prise en charge et même si on sait que l’on ne va pas le guérir ».

Certains patients sont transférés en unité de soins palliatifs mais pas tous. « Dans le service (qui compte 5 lits identifiés soins palliatifs sur 16), nous avons eu 77 décès dans l’année », poursuit le praticien, qui, en tant que président du réseau territorial de cancérologie dans le sud des Yvelines, milite pour une prise en charge globale du patient, au-delà du soin, qui répond à ce que l’on nomme les soins de support. Avec l’appui de l’équipe mobile de soins palliatifs, composée de deux médecins, d’un cadre de santé, de deux infirmières et d’une psychologue, les douleurs des patients sont systématiquement évaluées et soulagées. « On ne peut pas dire que chez nous, la douleur n’existe pas. Mais nous avons les moyens de la prendre en charge correctement », y compris certaines douleurs rebelles. « Il ne faut pas avoir peur de ces discussions », insiste le Dr Mayeur, tout en reconnaissant qu’elles sont encore difficiles pour les médecins non formés. Lui a eu notamment la chance d’avoir rencontré, jeune médecin, un convaincu, le Dr Philippe Poulain, chef du département interdisciplinaire des soins oncologiques de support, à l’IGR.

Un contrat.

Pour le Dr Nathalie Michenot, responsable de l’équipe mobile de soins palliatifs, dont le rôle est aussi de soutenir les soignants lors de situations difficiles, le maintien de la qualité de vie du patient est primordial : « C’est un contrat que nous passons avec le patient, une alliance thérapeutique. » Elle se souvient d’avoir accompagné un patient qui, sachant son pronostic, « nous confiait vouloir mourir, que ce temps lui était inutile. En désignant ses perfusions, il nous disait : "Je ne veux pas tout ça". On lui a répondu que, grâce à loi Leonetti, il avait le droit de refuser. Il s’est senti entendu et respecté. Son alimentation parentérale a été arrêtée. C’est pour son fils que c’était le plus dur. »

Et pourtant, les demandes d’euthanasie que le Dr Michenot a entendues proviennent le plus souvent des familles qui ne supportent plus « l’attente » ou le « manque d’échanges ». C’est dans ces moments-là que « notre pari le plus important est d’arriver à redonner du sens », juge la praticienne. Elle sort de ses gonds lorsqu’on lui réplique, alors qu’elle dit être opposée à l’euthanasie : « Vous préférez laisser les patients souffrir ? » –« Moi, je cherche à soulager avant de tuer. On ne tue pas tous les déprimés », s’agace-t-elle, en soulignant qu’« on ne sédate pas pour faire mourir la personne ». Selon elle, c’est tout l’enjeu de la loi Leonetti, qui admet le principe du double effet d’un traitement antalgique et insiste sur la nécessité de la collégialité. Une loi qui « connue en théorie », commence à faire son chemin, estime le Dr Michenot sans être dupe. Ici, à l’hôpital Mignot, la création de l’équipe mobile était attendue. Les portes des services s’ouvrent facilement. « Par rapport aux soins palliatifs, on ne peut pas faire de généralités. Il n’y a pas de modèle à imposer : il faut partir des initiatives locales », même si elle déplore la concurrence que se font, de temps en temps, certains réseaux.

Une médecine de l’incertitude.

Aux yeux des patients ou de leur famille, les soins palliatifs ne sont pas encore entrés dans les mœurs et sont parfois source de malentendus. Christine Laquitaine, infirmière, évoque la fois où elle se présente devant une patiente comme faisant partie de « l’équipe mobile d’accompagnement et de soins palliatifs ». « Elle était horrifiée. Ça peut être très violent, trop dur à entendre. Et pourtant, cette patiente savait qu’elle recevait déjà des soins palliatifs. Alors que ce sont des soins contre la douleur, pour retrouver du confort, ils évoquent la mort. C’est vrai que l’on ne peut pas guérir mais il y a des situations palliatives qui durent longtemps, quelques semaines, six mois, dix ans. On ne sait pas comment les choses vont évoluer. C’est une médecine de l’incertitude. »

Christine Laquitaine ne cesse de garder en mémoire ce que lui a confié, un jour, un patient : « J’ai besoin d’avoir de l’espoir. » Un message qu’elle tente de transmettre. « Il faut vivre le présent et garder espoir », glisse-t-elle à une patiente d’une soixantaine d’années dont les cheveux repoussent. Allongée sur le lit le temps d’une perfusion, vêtue d’une chemise de soie grise et d’un jean, cette femme lui parle de longues minutes, non pas de l’échec de sa chimiothérapie mais de son père qui vient de mourir et qu’elle est allée voir à l’hôpital. « Je me suis nourrie de lui. Il est mort sans souffrance. » Mais aujourd’hui, elle ne peut s’empêcher de comparer la maigreur de ses bras avec ceux de son père. Quand son mari lui a récemment offert un gros bouquet de roses rouges, elle a pensé que « c’est dommage qu’on ne commence pas par la fin. Je ne m’imagine pas devoir partir. »« Comment vous sentez-vous ? », lui demande Christine Laquitaine. « Quand je me sentais fatiguée, je me disais que si c’était pour vivre comme ça, ce n’était pas la peine. Mais sans la chimio, ça va mieux. J’aime la vie, même si je ne veux pas m’accrocher à chaque minute qui passe. » À son fils qui doit venir la chercher, elle ne veut pas dire tout de suite l’échec de son traitement : « Je veux laisser faire les choses, qu’il le découvre petit à petit. » Il lui faut encore du temps, les soignants du service et de l’équipe mobile en sont aussi tous persuadés.

STÉPHANIE HASENDAHL

Source : Le Quotidien du Médecin: 8916