LE QUOTIDIEN : Le dernier atlas démographique de l’Ordre met en exergue l’attrait croissant des jeunes médecins pour le remplacement. Comment l’expliquez-vous ?
Dr RAPHAEL DACHICOURT : Ce n’est pas le remplacement en lui-même qui attire les jeunes médecins mais plutôt les contraintes à l’installation qui les poussent à opter pour ce mode d’exercice. Ouvrir son cabinet suppose d’endosser de grosses responsabilités. Cela signifie à la fois que le médecin aura sa propre patientèle et qu’il va devoir gérer son cabinet comme une petite entreprise ! En début d’exercice, sans préparation, ni expérience, l’installation peut faire peur. C’est ce qui explique notamment que la durée moyenne avant installation soit autour de trois ans… C’est une période durant laquelle les jeunes professionnels vont pouvoir construire un projet abouti et adapté à leurs besoins pour une installation pérenne.
Les jeunes médecins sont-ils toujours découragés à l’idée de s’installer en libéral ?
Je ne dirais pas qu’ils sont découragés mais plutôt qu’ils ne sont pas assez encouragés. Même s’il y a eu du progrès ces dernières années, il existe en France un défaut de formation. Les internes ne sont pas suffisamment accompagnés dans l’élaboration de leur projet professionnel. À Reagjir, nous poussons depuis longtemps en faveur du déploiement de guichets uniques départementaux afin d’offrir aux jeunes professionnels un accompagnement personnalisé et sur-mesure. Cette disposition a été actée dans la loi de financement de la Sécu 2023 mais force est de constater qu’il n’y a aucune avancée depuis un an.
Pas de charges, de secrétariat ou même de logiciel à payer… Sur le plan financier, le remplaçant est-il gagnant ?
Les données que nous avons récoltées sont très claires. Le revenu moyen d’un médecin remplaçant reste bien inférieur à celui d’un médecin installé. Il faut comprendre que, pour ces jeunes professionnels, le remplacement est une période de transition entre la fin des études et l’installation. Beaucoup d’entre eux vont préparer et soutenir leur thèse au cours de cette période, les obligeant à ne pas remplacer à temps plein. Notre dernière étude Remplact 4, réalisée l’année dernière, montre que les médecins remplaçants travaillent en moyenne 30 semaines par an, ce qui est bien en deçà de la moyenne des confrères installés. Il ne faut pas oublier aussi que les remplaçants ne perçoivent pas de part forfaitaire (qui constitue 15 % de la rémunération annuelle d’un médecin généraliste installé). Finalement, à temps de travail égal, un remplaçant ne peut pas gagner plus qu’un médecin installé.
La liberté d’installation est régulièrement remise en cause par des élus. Pourquoi n’est-ce pas la bonne solution face aux déserts médicaux ?
Contraindre les médecins ne résoudra jamais rien. Notre système de santé est en pénurie sur tous les secteurs et modes d’exercices ! La médecine de ville doit rester attractive au risque de voir les jeunes fuir complètement vers d’autres activités. Il est aujourd’hui beaucoup plus lucratif d’exercer au sein d’un centre de soins non programmés ou d’une boîte de téléconsultation que de s’installer et faire du suivi chronique de patients polypathologiques. La gestion d’un cabinet est une charge considérable qu’il faut valoriser. La fuite des jeunes médecins est déjà engagée avec 20 % de jeunes généralistes qui exercent en salariat hospitalier. Il y a des besoins à l’hôpital mais il y en a aussi en ville. Il faut trouver le juste équilibre.
Les jeunes aspirent à diversifier leur activité. Faut-il revoir le modèle libéral actuel ?
Effectivement, les nouvelles générations ne veulent plus d’un exercice unique, qui les oblige à enchaîner les consultations jusqu’à six jours par semaine, chevillés à leur cabinet. Toutefois, l’exercice de la médecine libérale offre de nombreuses possibilités pour varier ses pratiques et ses missions. Les médecins peuvent par exemple exercer dans le cadre d’un exercice coordonné, participer à des campagnes de vaccination, des actions au sein d’une CPTS, ou encore intervenir dans des associations. L’exercice mixte, de plus en plus plébiscité, offre aussi cette possibilité.
Le conventionnement des remplaçants est une demande historique de Reagjir. Pourquoi est-ce si important ?
Les médecins remplaçants ne sont pas la panacée mais leur rôle est primordial pour assurer la continuité des soins notamment dans les zones sous denses lorsque des médecins sont en arrêt maladie, partent en congés ou en formation. Nous ne voulons pas faire d’eux les « rois du pétrole », comme on peut parfois l’entendre, mais reconnaître leur rôle en les incluant dans le système conventionnel pour qu’ils ne soient plus invisibilisés. Cela passe par plusieurs mécanismes avec en premier lieu le renforcement du lien qui les unit avec l’Assurance-maladie, en leur donnant le droit d’accéder à tous les outils numériques via un espace Améli pro. Les remplaçants doivent aussi pouvoir bénéficier d’une protection sociale équivalente à celle des installés. Aujourd’hui, l’avantage supplémentaire maternité/paternité/adoption ne leur est pas ouvert. De fait, certains remplaçants se retrouvent dans des situations de précarité pendant cette période importante de la vie.
Nous plaidons enfin pour qu’une part de rémunération forfaitaire soit allouée aux remplaçants selon les missions de service public qu’ils remplissent (PDSA, exercice en zones sous-dotées, etc.). Ces demandes n’ont, pour l’instant, pas été prises en compte par l’Assurance-maladie. Cette discrimination est inacceptable et contribue à les précariser.
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