LE QUOTIDIEN : Quelle est selon vous la philosophie de la réforme santé du gouvernement ?
FRÉDÉRIC BIZARD : Ce plan santé s'inscrit dans la droite ligne d'un mouvement d'étatisation. Les ordonnances Juppé de 1995 et la mise sous tutelle de l'assurance-maladie par l'État ont enclenché la perte d'indépendance des professionnels du secteur sanitaire. Ont suivi les contrats responsables en 2004, les agences régionales de santé (ARS) en 2009 et les groupements hospitaliers de territoire (GHT) en 2015 ! En 2018, le gouvernement va encore plus loin en décidant de prolonger cette logique d'étatisation jusqu'au cœur des territoires sous la forme des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), mesure phare du plan.
Ne nous trompons pas ! Au regard des enjeux de santé publique et des soins primaires, il est nécessaire de renouveler la gouvernance dans les territoires. Mais ces CPTS nous sont vendues comme un moyen de sauver l'hôpital. Elles seront aux mains des GHT et des ARS dont la toute-puissance n'est d'ailleurs jamais remise en question.
Vous doutez des CPTS. Y a-t-il d'autres mesures qui vous inquiètent ?
En réalité, ce texte regorge de mesures de contrôle de la médecine de ville, pourtant dernier bastion de l'activité libérale dans la santé. Nous sommes dans une vision de la santé hospitalo-centrée, où l'État a la main. C'est tout de même extraordinaire de restructurer la médecine de proximité en créant 500 à 600 hôpitaux de proximité !
Les expérimentations sur le parcours coordonné du diabète et de l'insuffisance cardiaque sont certes essentielles mais à qui en donne-t-on la gestion ? À l'hôpital – avec, peut-être, une ouverture à la ville demain.
Quant à la recherche continue de pertinence des soins, il s'agit d'une nouvelle preuve de la quête de contrôle des pouvoirs publics sur le soin et la science médicale, qu'ils entendent normaliser.
Quid des 400 postes de généralistes salariés à exercice partagé ville/hôpital ? N'est-ce pas une marque de souplesse ?
C'est une mesure de communication pour remplir la case « lutte contre les déserts médicaux » ! La bonne idée aurait plutôt été d'offrir la possibilité aux libéraux d'exercer quelques jours à l'hôpital. C'est ça, la vraie flexibilité requise pour redynamiser la médecine de proximité !
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