« SI JE NE LEUR FAIS pas de prescription médicamenteuse, les patients risquent de penser que je ne prends pas au sérieux leur souffrance. » Cette réflexion d’un médecin, tirée d’une revue de la littérature (Schwartz et al.) réalisée par les experts de la HAS, souligne tout le poids symbolique attaché à la prescription dans la relation médecin/malade. Selon la Haute Autorité, elle est même l’une des raisons du faible recours aux interventions non médicamenteuses, qui sont pourtant, dans certaines pathologies, prise en charge des risques cardio-vasculaires ou insomnie, par exemple, considérées comme des thérapeutiques à part entière, recommandées comme traitement de fond.
Le rapport réalisé par la HAS à la demande de la direction de la Sécurité sociale avait pour objectif d’identifier les freins afin de proposer quelques pistes pour améliorer la prescription des thérapeutiques non médicamenteuses : règles hygiéno-diététiques (régimes diététiques, activités physiques et sportives, modifications du comportement alimentaires, règles d’hygiène), les traitements psychologiques (thérapies d’inspiration analytique ou cognitivo-comportementales) et les thérapies physiques (kinésithérapie, ergothérapie...).
Plus fastidieux de convaincre.
Dans leur rapport, les experts de la HAS précisent d’emblée qu’il ne s’agit en aucun cas « d’alternatives à la prescription médicamenteuse », notion qui suggérerait une mise en concurrence des deux types de traitements, mais bien du recours à une thérapeutique autre que médicamenteuse pouvant être prescrite seule ou en association avec un traitement médicamenteux. La prescription dans ce cas peut prendre diverses formes, allant de l’inscription sur l’ordonnance, à la mise à disposition des coordonnées d’un professionnel spécialisé en passant par des conseils oraux ou par le biais d’une brochure.
Toutefois, dans leurs recommandations, les experts proposent d’« officialiser la prescription de thérapeutiques non médicamenteuses en rendant systématique leur inscription sur l’ordonnance au même titre que les médicaments ». En effet, la prescription médicamenteuse jouit, particulièrement dans le contexte culturel français, d’un rôle particulier dont il convient de tenir compte.
Pour le patient, la décision de ne pas prescrire de médicament pourrait être perçue comme une remise en question de l’authenticité de sa plainte, la prescription, dans le schéma traditionnel, ayant pour fonction de confirmer l’état pathologique et légitimer son statut de malade. De plus, la rédaction d’une ordonnance représente symboliquement pour lui la concrétisation de l’acte médical : « Le médicament occupe dans la relation médecin/patient une "fonction métaphorique" dans la mesure où il incarne un objet concret de soulagement (et) détient une "fonction métonymique" lorsqu’il est perçu comme incorporant en lui-même l’expertise du médecin et sa capacité à soigner. » Pour le médecin, prescrire des médicaments, même inutiles, peut être un moyen de privilégier la relation de confiance qu’il entretient avec son patient et d’éviter de le voir fuir vers des confrères plus compatissants (nomadisme médical), comme le suggèrent certaines enquêtes. La rédaction d’une ordonnance clôt symboliquement la consultation, signale au patient qu’il doit prendre congé et est pour le médecin un moyen d’écourter la consultation, ce d’autant que le médecin ressent la pression du temps. « Il paraît plus fastidieux pour les médecins de convaincre le patient de faire évoluer son mode de vie et de suivre des thérapeutiques de longue durée que de prescrire un traitement médicamenteux », souligne le rapport.
Les recommandations de la HAS visent à faire évoluer la façon dont la collectivité (professionnels et patients) se représente la notion de traitement. « Sortir d’une prise en charge essentiellement centrée sur le médicament et l’influence symbolique qu’il exerce constitue un enjeu de santé publique », note-t-elle. En plus de l’inscription sur l’ordonnance, la Haute Autorité conseille d’améliorer l’information médicale sur la prescription de ces thérapeutiques, qui souffre d’un déséquilibre par rapport à l’information sur le médicament. « Ce déséquilibre s’explique en partie par le fait que les médecins privilégient les canaux d’information émanant de l’industrie pharmaceutique, qu’ils jugent plus accessibles et davantage conformes à leurs besoins », notent les experts. Il conviendrait, selon eux, de favoriser une information délivrée « à l’initiative et sous le contrôle des institutions physiques ». Annuaires pluridisciplinaires et rencontres interprofessionnelles aideraient par ailleurs les médecins à mieux connaître les praticiens exerçant à proximité pour leur adresser les patients.
Modalités de rémunération.
Le rapport fait aussi le constat d’un manque d’adhésion des médecins à l’égard des thérapeutiques non médicamenteuses en partie du fait du manque de données scientifiques sur leur efficacité. Là aussi, un financement public des essais cliniques et en population réelle serait souhaitable. Une série de recommandations concernent la méthodologie de telles études et les critères d’évaluation. Les experts proposent également d’améliorer l’offre en matière de thérapeutiques non médicamenteuses, très inégalement répartie sur l’ensemble du territoire. Le regroupement des médecins, des professionnels de santé et des professionnels spécialisés dans des cabinets de groupes, le développement de nouveaux modes d’exercice ou le développement de nouvelles formes de coopération entre les médecins et les autres professionnels, tout comme le développement de programmes d’encadrement des patients dans le suivi (coaching, entretien motivationnel...) sont parmi les solutions proposées.
De même, les experts soulignent que l’organisation du système de soins de ville en France « est peu incitative à la prescription de thérapeutiques non médicamenteuses ». Selon eux, l’amélioration de cette prescription passe aussi « par une évolution des modalités de rémunération, du paiement à l’acte vers d’autres types d’incitatifs financiers ». L’objectif est d’inciter les médecins à consacrer le temps nécessaire aux étapes clés de la consultation (écoute active, diagnostic, explicitation de la décision de prescription). Les experts citent les expérimentations actuellement menées en France sur les modes de rémunération mixte.
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