La montée en charge de la blessure psychique

Dr Jean-Philippe Rondier (Percy) : « Depuis l'Afghanistan, les blessés ont une évaluation psychologique »

Publié le 21/07/2014
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Crédit photo : DR

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LE QUOTIDIEN : Les militaires avaient, jusqu’à il y a peu, du mal à aborder le problème du trouble psychique. Que s’est-il passé pour que le tabou tombe ?

Dr Jean-Philippe Rondier : On a mis en place des journées de formation dans les services de psychiatrie des neuf hôpitaux des armées pour les médecins des forces et leurs infirmiers. La très grande majorité d’entre eux sont maintenant passés par les services de psychiatrie pour se faire préciser certains points de la pathologie psycho traumatique, sa clinique, ses conséquences et comment participer à sa prise en charge. Des officiers et des sous officiers ont aussi participé à ces journées : ce sont eux qui, souvent, donnent l’alarme en premier. Depuis l’Afghanistan, on essaye de ne jamais laisser un malade passer au travers des mailles de l’évaluation psychique.

Pour autant, les réticences sont toujours là : les patients, ne se mobilisent pas toujours d’eux-mêmes pour aller demander des soins. Il y a aussi ce sentiment de honte consubstantiel au traumatisme psychique et cette impression que l’on a vécue en opération quelque chose d’extraordinaire, que les autres ne peuvent pas comprendre. De plus, l’image de force, voire d’invulnérabilité, qui accompagne le militaire crée un sentiment de défaillance personnelle plutôt que celui d’un trouble qui s’inscrit dans un registre médical.

Quels types de troubles retrouve-t-on au retour d’opération ?

Ils sont très divers. Certains militaires déclenchent un épisode délirant inaugural sans qu’il y ait forcement d’événement traumatisant : la vie d’un militaire en opération est déjà stressante en soi, avec un éloignement affectif pesant. Lors d’engagements très intenses, la pathologie liée à des traumatismes est plus fréquente et se décline sous deux modes. Il y a d’abord l’état de stress post-traumatique, très paradigmatique et emblématique, qui découle de la confrontation très réelle et directe avec la possibilité de sa propre mort. Il y a ensuite des formes moins spécifiques où l’on va repérer un événement qui fait rupture. On ne retrouvera pas les symptômes du syndrome post-traumatique comme les cauchemars et les reviviscences diurnes mais des épisodes dépressifs plus ou moins sévères.

Quelle est la prévalence de ces troubles ?

C’est très délicat de donner des chiffres. En Afghanistan, dans la vallée de la Kapisa où des combats intenses, parfois quotidiens et de longue durée, on eut lieu, on a relevé dans certaines unités (plusieurs centaines d’hommes N.D.L.R.) des taux de 6 % de troubles psycho traumatiques, entre trois et six mois après les engagements.

Qu’appelle-t-on une blessure psychique à effet retard ?

La majorité des troubles vont se déclencher trois mois après l’événement initiateur. Un an après, plus de 90 % de troubles sont là, même si des gens ont pu déclencher des troubles près de 30 ans après la guerre d’Algérie. Sur le plan psychopathologique, cela s’explique par le phénomène de la suppléance. Le traumatisme réalise une « effraction » dans le psychisme qui peut être recouverte par des suppléances. Pour un militaire, il peut s’agir de l’idéalisation de l’image du chef ou de la mission. Ces suppléances ne se maintiennent plus une fois de retour de mission avec en plus un effet d’après-coup qui peut survenir lors d’une remise de médaille ou d’un départ en retraite au cours duquel l’expérience initiale va prendre un sens traumatique.

Les troubles consécutifs aux conflits des années 1990 sont-ils différents de ceux des années 2000 ?

Il y a clairement une dimension traumatique qui dépend de l’intensité des combats. En Afghanistan, les situations de guerre étaient semblables à celles de l’Algérie. En ex-Yougoslavie, elles étaient plus ponctuelles mais s’inscrivaient dans le cadre très ambigu d’une interposition où l’on ne savait pas qui étaient les agresseurs et les agressés, et où l’on servait souvent de cible. Il leur était très difficile de saisir le sens de leur mission. On a pris en charge un certain nombre de patients qui ont mal vécu cette situation.

Propos recueillis par Damien Coulomb   Chiffres  Depuis 1978, 9 000 patients ont été pris en charge par le service de santé des Armées. Afghanistan : 1 000 blessés psychiques et 700 blessés physiques. Mali : 60 blessés physiques. République centrafricaine

Source : Le Quotidien du Médecin: 9343