Rimbaud s’est-il baladé adolescent sur les rives de la Meuse ? « Comme je descendais des Fleuves impassibles, Je ne me sentis plus guidé par les haleurs », premiers mots du « Bateau ivre », écrit à 16 ans, laissent à penser qu’il connaissait les lieux, puisque que des fenêtres de son collège, où il fut élève brillantissime, il pouvait voir le fleuve. C’est sur cette réflexion que l’on s’échappe à vélo de Charleville-Mézières, ville natale du poète, en direction d’Haybes, but d’une première étape de 53 km. La place ducale dans le dos, la voie verte des bords de Meuse impose rapidement son crédo. À Montcy, le fleuve a déjà boudé la ville et revêt son costume provincial, entre prés et versants boisés. Une rivière de la France profonde, rythmée par des pêcheurs et des hérons placides et de modestes maisons à jardinets.
D’une rive à l’autre, des villages endormis rehaussés de clochers pointus rythment le parcours. À Monthermé, le silence de l’eau est troué par un bruit martelé. C’est celui de la forge Raguet, une des dernières héritières de l’aventure industrielle dont la vallée fut un foyer aux XIXe et XXe siècles, dans le vacarme de la métallurgie. Jadis, des trains entiers remplis d’ouvriers remontaient depuis Charleville pour desservir les usines. L’enclavement et la mondialisation ont eu raison de l’activité. Avec ses immeubles en pierre posés au bord de l’eau, sa confluence avec le Semois et son ancienne abbaye de Laval-Dieu, Monthermé a encore du style. Les plus courageux grimperont au dessus du village jusqu’à la Roche à Sept Heures. Le point du vue dévoile une bourgade enveloppant parfaitement une boucle de la Meuse.
La piste cyclable Trans-Ardennes glisse ensuite dans un bassin resserré aux accents de pleine nature. La Meuse ondule de cingle en cingle, léchant les mamelons ardennais verdoyants. Quelques hameaux scandent ces rives, Laifour, Archamps… Sur l’eau assoupie, pas d’embarcation : il y a longtemps que la batellerie a rendu l’âme sur cette portion de fleuve. Seuls, l’été, des bateaux de plaisance traversent ce paysage rendu à sa virginité. Revin se profile et ressurgit à nouveau l’épopée industrielle. Ici, jusqu’à la fin des années 1960, des usines ont prospéré, Porcher, Faure, Arthur Martin… La Maison espagnole à colombages témoigne des richesses du passé, quand fer et commerce fluvial étaient rois. Lové dans sa boucle, voilà Fumay. Une friterie sur les quais diffuse son odeur grasse. Au dessus des maisons en briques dépasse le clocher de l’église Saint-Georges. De style néogothique, c’est l’une des plus grandes églises des Ardennes. Alors que le crépuscule tombe sur la vallée, Haybes apparaît. Il est temps de remiser le vélo à l’hôtel et d’aller dormir dans ce no man’s land de France, enfoncé dans le plateau ardennais belge, dans le silence et la fraîcheur d’une vallée bercée de nostalgie.
La seconde étape, Haybes-Dinant, totalise aussi 53 km. Il fait beau et frais et à cette heure matinale, la faune est au rendez-vous. Canards, cormorans, pics, grèbes, martins-pêcheurs… se manifestent sur et au bord de l’eau. Le vélo va moins vite que les TER qui empruntent la vallée et c’est tant mieux. Cela permet de profiter de Vireux-Molhain (rive gauche)/Vireux-Wallerand (rive droite), double village ardennais à l’âme ouvrière, typique avec sa brique du nord dressée en étendard et sa collégiale posée dans un vallon affluent. Il reste 10 km pour gagner Givet. Moins boisés, les versants laissent désormais apparaître des dalles de schiste. Fortifiée par Charles Quint et Vauban, la cité-verrou, posée de part et d’autre de la Meuse, ultime coin de France enfoncé en Belgique, est dominée par le fort de Charlemont, ex-bastion et village militaire.
La suite se passe chez nos amis belges. De Trans-Ardennes, la voie bascule dans le réseau RaVel d’outre-Quiévrain. La frontière est banale, marquée par deux plots en béton… Quelques signes trahissent cependant le changement, la signalétique routière, les maisons de briques plus cossues… Depuis l’ancienne gare d’Agimont, la piste cyclable dévale en pente douce entre des haies d’arbres, avant de rejoindre le fleuve à Hermeton-sur-Meuse. Après Hastière-Lavaux, la piste s’arrête à l’écluse de Waulsort et il faut rejoindre Dinant par une route étroite. Dans le jour à nouveau déclinant, on longe les rochers et le château de Freÿr, au style Renaissance splendide, avec jardin à la française inspiré des travaux de Le Nôtre. Le choc est aussi d’entendre un cri terrifiant : le brame du cerf ! Quelques coups de pédales plus loin, la Meuse s’endort le long du quai à platanes d’Anseremme. Voilà enfin Dinant, long village-port étiré de part et d’autre du fleuve. Demain, il faudra visiter cette ville, noyée dans la brume automnale. Monter à la citadelle ; visiter la collégiale gothique et l’abbaye Notre-Dame-de-Leffe ; s’attarder sur le pont où fut blessé de Gaulle, en 1914... De Rimbaud au général en passant par les manufactures, la Meuse à vélo promet un cours d’Histoire récréatif.
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