Son-Kul, un matin de juin. Après une nuit agitée sous d’épaisses couvertures, la lumière transperce la porte en feutre de la yourte. Le soleil, enfin ! À 3 000 m d’altitude, les heures précédentes furent violentes : vent, orage, pluie, froid… Il est 6 h 30, le choc est époustouflant. Des cavaliers se découpent au loin sur l’herbe rase du plateau. Des yourtes voisines éclatent de blancheur. Des vaches broutent au milieu des boutons d’or, sur fond de versants chaulés – il a neigé dans la nuit . Le bleu sage du lac Son-Kul tranche avec les neiges froides d’un barreau du Tian Shan, perché à plus de 4 000 m d’altitude. Le spectacle sera de courte durée. Un banc de nuages se déploie et noie en moins de dix minutes ce décor de rêve. Spectacle fascinant… et un brin angoissant.
C’est pour cela que l’on vient au Kirghizstan. Pour les yourtes ; les montagnes à plus de 6000 m (et même 7 439 m pour le Pic Podeba, point culminant du pays) ; les bergers transhumants et leurs troupeaux de chevaux, vaches et moutons ; les yacks, poilus et grognant comme des cochons ; les plateaux d’altitude suspendus entre ciel et terre ; les lacs gigantesques…
Qu’il pleuve, gèle ou vente, Tolok, Aitchurok, Juma et Elmira n’en n’ont cure. Ce sont nos hôtes à Son-Kul. Comme chaque été depuis des années, cette famille d’éleveurs monte au lac faire paître ses vaches et ses chevaux, dès qu’une des pistes d’accès à ce monde perché est déneigée, c’est-à-dire pas avant fin mai. Quatre mois d'« alpages » dans des conditions rudimentaires et sous un air plus rare, à utiliser l’eau de pluie et des « toilettes sèches » (quatre tôles et un trou dans le sol). Elmira fait la moue quand on lui en parle. Dans ses habits traditionnels, elle admet à demi-mot que la vie est dure à 3 000 m. Elle est infirmière, sans travail, et veille sur ses enfants Adelina, 5 ans, et Nur Sultan, 2 ans. Elle est l’épouse de Juma, fils de Tolok et d’Aitchurok. Leur quotidien ? Traire les vaches et les juments. Les déplacer au gré des pâturages. Veiller à ce que le loup n’attaque pas la nuit… Sans surprise, Aitchurok et Elmira s’affairent plutôt aux tâches ménagères. Et s’occupent de leurs rares clients, des touristes comme nous qui découvrent cette vie austère… et les bienfaits de la soupe et du thé, immuables fortifiants pour montagnards fatigués.
Ce pays d’immense nature propose des conditions de voyage rudimentaires. On doit s’en accommoder si on veut toucher son cœur. De Son-Kul à la province de Naryn, la descente interminable (au moins 50 km) traverse des paysages de montagne plus forestiers, limite familiers. Au bas de la pente, une gamine nous rattrape à cheval. Ici, on apprend presque le trot avant de savoir marcher. Le village de Jangy-Talap offre peu d’intérêt si ce n’est celui de respirer l’air de la vie rurale : les hommes accroupis devant leurs jardinets, kalpaks sur la tête, les petites épiceries comme autrefois, les champs de trèfles… Même empreint de la patte du soviétisme, avec des immeubles staliniens, de larges avenues, de grandes places et des statues de Lénine dans les villes, comme à Bishkek, la capitale, le pays est demeuré à l’état brut.
C’est encore le cas à Tash-Rabat, non loin de la frontière chinoise, au sud du pays. Là, au bout d’une piste de montagne tracée dans un haut vallon à torrent, à près de 3 500 m d'aà près de 3 500 mtitude, surgit un improbable caravansérail à dôme de pierre, utilisé comme « relais de poste » par les marchands venus de Chine, dès le XVIe siècle. Frissons devant le décor froid de la trentaine de chambres et des pièces communes. L’extérieur est plus riant et rappelle nos alpages savoyards. Installé sous les yourtes confortables de Nazira, une éleveuse de yacks et de chevaux, j’écoute siffler les marmottes, replètes comme des blaireaux. Des moutons à forte toison s’accrochent aux pentes, deux oies cacardent dans un marécage, des rapaces planent au ras des cimes… Nature triomphante. Depuis Tash Rabat, des excursions à cheval permettent de rejoindre le lac Chatyr-Kul, quasi frontalier avec la Chine.
Le voyage s’achève à Issyk-Kul, immense lac (180 km sur 60 km), plutôt une mer intérieure. Sur la route, toujours des montagnes, arides, plissées, vertes, forestières, acérées, douces, enneigées, pelées comme des djebels… Toutes les montagnes sont au Kirghizstan. Même au bord du lac, cerné au sud de stations-villages sommaires et d’hôtels-clubs plus modernes, impossible de les oublier. Elles trônent sur les lignes d’horizons, majestueuses dans ce pays resté vierge par la force des éléments.
DJ et médecin, Vincent Attalin a électrisé le passage de la flamme olympique à Montpellier
Spécial Vacances d’été
À bicyclette, en avant toute
Traditions carabines et crise de l’hôpital : une jeune radiologue se raconte dans un récit illustré
Une chirurgienne aux nombreux secrets victime d’un « homejacking » dans une mini-série