Jour « d’ouragan » au Cap de la Hague. S’il est une expérience à vivre quand ciel et océan se déchaînent, c’est ici. Le séisme climatique débute à Siouville, commune littorale au sud du cap. On a bien senti en arrivant qu’il se tramait quelque chose, que les haies secouées comme des pommiers à cidre annonçaient la colère océane. Le village côtier est encore endormi, mais la mer en furie, blanche, écumant de rage, déverse comme un compresseur fou ses vagues sur le littoral.
Sous le grain, on traverse le hameau de La Roque, maisons basses serrées tapies contre le vent. Les anciens avaient tout compris, en adaptant leurs masures aux tornades. Jusqu’à Héauville, la route de bocage protège un peu de la tourmente, mais le coup de tabac rattrape l’automobiliste à hauteur de Biville et de ses dunes. Hier pilonnées par les exercices militaires, elles le sont aujourd’hui par la pluie et la bourrasque. Du belvédère du Grand Thot, que l’on rejoint protégé sous le ciré, elles ressemblent à un champ de bosses humide, fragile désert contre les assauts déchaînés de la Manche.
Dans ce no man’s land de pied de falaise, le seul horizon est la mer. Le paysage prend ici un tour clairement irlandais. Champs clos de murets, fulgurances mauves de la bruyère, herbe grasse, lande ruisselante… Les habitants de la « pointe », comme disent les locaux, font avec leurs maisons « le gros dos au suroît », comme l'écrit le romancier Didier Decoin, amoureux de la Hague au point d’y posséder une demeure.
Voici maintenant le village de Vauville, d’une rudesse très XIXe siècle sous son granit et ses toits de schiste. La route, seul guide dans ce patchwork de bocage, plonge et s’élève comme une houle océanique. Elle ne peut hélas éviter Beaumont-Hague et sa verrue nucléaire. Cette cicatrice indélébile impacte le paysage, mais il serait dommage de tourner casaque tant la péninsule vibre ailleurs de solitude sauvage.
Au Nez des Voidries, voisin de celui de Jobourg, il faut se plier en deux pour résister au coup de chien. Marcher, parler, tout demande effort. Au loin, depuis le belvédère, la tache de l’île d’Aurigny disparaît sous la mer hachée. On rêve de café chaud, d’âtre rougeoyant. Mais il faut continuer. Voici la baie d’Écalgrain, plage éden hier, enfer nautique aujourd’hui. Et toujours ces champs-rectangles fermés de murets, avec leurs piquets de barrière fichés dans des pierres creuses. Avons-nous vu quelqu’un depuis le matin ? Une ou deux voitures, à peine. Trois à quatre touristes égarés sur la côte… De toute façon, l’heure n’est pas aux civilités mais à la survie.
Le hameau de La Roche et le village de Goury sont déserts. Soudain, des rais de lumière jaillissent, sublimes, sous le ciel gris. Elles irradient de vert la mosaïque des prairies en lanières, où seules des vaches flegmatiques paraissent imperméables à la furia maritime. Voilà donc Goury, ce port bizarre et courbe posé à plat, avec le phare au large et le curieux dôme conique de la station de sauvetage de la SNSM (des as de la mer, les seuls à affronter le courant dévastateur du raz Blanchard en fureur).
La Riviera du Cotentin
D’apparence fragile face à la démesure de la Manche, Goury signe l’ultime présence de l’homme au Cap, le dernier village gaulois à résister à l’envahisseur atlantique. Une nouvelle fois saoulé de vent, du sel poisseux sur les lèvres et le ventre creux, la pause à Auderville est méritée.
Ce village signe la bascule vers la « Riviera du Cotentin ». Un peu mieux protégée de l’ouragan du sud-ouest, cette partie du Cap de la Hague soigne son image. Les maisons se font plus coquettes, les boules d’hortensias parme accompagnent les clôtures des jardins et réveillent le gris du granit, comme à Saint-Germain-des-Vaux.
Ce morceau de côte abrité se poursuit à Port-Racine, autoproclamé « plus petit port de France ». Avec ses quinze à vingt barcasses au mouillage, attachées par de longues cordes à des poteaux en bois, il se donne des airs de calanque provençale. On pourrait presque y prendre… racine : le littoral, doux et ondulant, retrouve un vert clair rassurant de lagon.
Le circuit s’achève fort à propos puisqu’après l’ivresse de l’océan, l’itinéraire laisse la place à deux jalons culturels, les maisons de Jacques Prévert (à Omonville-la-Petite) et du peintre Millet (à Gréville-Hague). Il ne reste plus après qu’à poursuivre vers Cherbourg, ivre d’iode et de sensations.
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