La réhabilitation et la réinsertion par le sport : soigner les corps et les esprits

Publié le 21/07/2014
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Connaissez-vous le Mölkky ? Derrière ce nom de cinéaste finnois se cache un jeu d’adresse dans lequel chaque joueur doit marquer un nombre de points précis en faisant tomber des quilles numérotées à l’aide d’un cylindre de bois. Avec la sarbacane, le tir à l’arc, la boxe fauteuil ou encore la boccia, cette étrange occupation fait partie du panel de sports proposés aux participants des Rencontres militaires blessures et sport (RMBS) 2014.

Cette année, ce sont 59 blessés, dont 11 blessés lourds et 10 blessés psychiques, répartis en trois stages qui ont fait le déplacement sous le beau soleil de Bourges. Ce stage représente pour eux un temps de transition après l’hospitalisation et la fin de la phase aiguë pour faciliter leur réinsertion dans l’armée ou leur reconversion dans le civil. L’ambiance est détendue, bien plus que ce que ce à quoi l’on pourrait s’attendre dans un événement organisé par des militaires. Ici, personne ne s’offusque d’entendre un sous-officier complimenter un lieutenant-colonel sur son « beau p’tit short », fut-il le responsable de la Cellule d’aide aux blessés de l’Armée de Terre (CABAT).

L’Angleterre à l’honneur

La décontraction, c’est ce qui a tout de suite marqué Gareth Floyde, un pilote de la Royal Air Force qu’une grave blessure aux jambes a failli clouer au sol. Il y a tout juste un siècle, ses compatriotes sont venus mourir dans la Somme. Les organisateurs des RMBS ont voulu commémorer ce fait d’arme en invitant quatre soldats britanniques. « Nous utilisons aussi beaucoup le sport dans le cadre de la réhabilitation en Angleterre », explique-t-il. Il constate que s’il y a « beaucoup de similarités », les Français sont tout de même « plus relaxants dans leur organisation, et proposent plus d’activités en plein air. »

La part croissante de la blessure psy

Depuis le retrait français d’Afghanistan, le nombre de blessés physiques traités par le service de santé des armées (SSA) a logiquement chuté, mais pas celui des blessures psychiques. « Nous avons traité 9 000 patients physiques et psychiques depuis le Liban en 1978 », explique le général et médecin chef des services Thierry Macarez du SSA. « En Afghanistan, 1 000 traumatisés psychiques ont été enregistrés depuis 2011 ainsi que 700 blessés physiques, 60 pour le Mali et 10 pour la République Centrafricaine. »

Plus nombreux que les blessés physiques, les blessés psychiques ont également des profils plus divers comme le constate le Lieutenant-Colonel Thierry Maloux, qui organise les RMBS. « Je suis frappé de voir que les logisticiens, qui conduisent des convois difficiles, parfois de nuit, sont de plus en plus touchés. On a parmi nos PTSD celui qui a vécu la mort au contact, mais aussi le radio qui a entendu un camarade mourir ou le photographe qui prend des clichés des corps », note-t-il. Il y a cependant un recouvrement important entre blessure physique et psychique qui a longtemps été ignoré : on attribuait même faussement à Freud l’idée selon laquelle le traumatisme physique protégeait du traumatisme psychique. On considère aujourd’hui qu’un tiers des blessés physiques de l’armée présentent des troubles psychiques de divers degrés.

Se jeter à l’eau

Lors des RMDS, on évite de parler de l’origine de la blessure. Alors que les stagiaires finissent leurs activités aquatiques dans la piscine d’Aubigny, les accompagnants restent sur le bord et gardent un œil attentif. Parmi eux, nous abordons Sampath Pannagas, aide soignant en psychiatrie à l’Hôpital Percy. Il connaît bien le problème du PTSD dont souffre une partie des participants et juge ce type de stage très important. « Cette expérience en commun leur fait un premier contact avec la vie extérieure, le bruit et les gens. Il y a toujours chez eux cette appréhension, cet état de vigilance : le moindre bruit peut leur rappeler leur accident », nous explique-t-il. Les PTSD militaires ont les mêmes symptômes que ceux du civil : la reviviscence de jours comme de nuit, les cauchemars traumatiques et la peur du bruit. Ce jour-là, une vétérante marquée par une peur panique de l’eau est parvenue à compléter deux longueurs. Pour le capitaine Rousseaux, qui dirige la Cellule blessés militaires et sport (CBMS) chargée de former les cadres sportifs de l’armée à la prise en charge des militaires handicapés, c’est clairement « la présence des autres membres du stage qui lui a permis de reprendre confiance en elle ».

Remettre le pied au pédalier

En trois années, les RMBS ont donné de bons résultats : des stagiaires ont repris des activités physiques, voir sont devenus moniteurs de sport. Ancien membre de l’armée de l’air, lunettes sur le nez et sourire aux lèvres, John a quitté l’hôpital en février après une amputation des deux mains. « Ce stage est une bonne chose pour entamer ma nouvelle vie en tant que handicapé », estime-t-il. Grâce à l’implication de la Fédération française de handisport et de la fédération française de sport adapté (FFSA). Chaque stagiaire repartira avec la carte des sites et club où il pourra prolonger son expérience sportive. Pour notre ex-pilote marseillais, le choix est déjà fait : « Une activité que j’attends, c’est le vélo que je pratiquais de façon soutenue », nous avoue-t-il avant de se replonger dans sa partie de Mölkky.

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du Médecin: 9343