LE QUOTIDIEN : Vous avez déjà filmé la psychiatrie (« San Clemente », 1980, « Urgences », 1988) et la justice (« faits divers », 1983, « Délits Flagrants », 1994, « 10e chambre instants d'audience » 2004). Pourquoi « 12 jours », aujourd'hui ?
RAYMOND DEPARDON : La magistrate Marion Primevert, que j'ai connue sur « 10e chambre » et Natalie Giloux, psychiatre, sont venues nous voir, Claudine Nougaret (à la production et prise de son) et moi, il y a un an et demi, pour nous parler de la loi du 27 septembre 2013 qui met en place ces audiences foraines dans les hôpitaux psychiatriques.
Nous souhaitions faire un nouveau film, pourquoi pas sur les soins, trente ans après « Urgences », tourné à l'hôtel-Dieu dans le service du Dr Henri Grivois. Mais je ne voulais plus me retrouver avec une caméra dans un couloir : il fallait trouver autre chose. J'ai alors perçu dans cette proposition l'opportunité de voir des gens qu'on ne peut pas voir. C'est étonnant, ce duo improbable entre un juge et un patient, en l'absence du psychiatre… Les juges mettent de l'eau dans leur vin, les patients ne portent plus les pyjamas, ils sont habillés… Cela pourrait presque être une conversation commune. Sauf qu'il y a une parole de justice, et l'avis du psychiatre.
Quels ont été vos rapports avec l'institution psychiatrique ?
En 1980, j'ai tourné en Italie (où j'ai eu la chance de rencontrer le Dr Basaglia) car je ne pouvais pas tourner en France. J'ai ainsi pu filmer un moment de la psychiatrie en Europe : surpeuplée, débordée. On y plaçait n'importe qui, beaucoup de pauvres…
Avec « 12 jours », j'ai découvert de nouveaux hôpitaux. La psychiatrie a changé. Les patients vivent dans de petites unités d'une vingtaine de malades, il y a des clefs électroniques, une pharmacie avec dispensation robotisée… c'est plus vivable, acceptable, on avance… Et malgré les progrès des médicaments, ces personnes au regard fixe qui ne clignent pas des yeux, et qui s'expriment pourtant très bien… C'est impressionnant.
Vous avez mené 72 entretiens et en avez gardés 10. Comment les avez vous choisis ?
Plus je m'approche du quotidien, du banal (un burn-out, une dépression…) plus je suis content. Au regard de mes confrères américains qui tournent énormément de rushs, 72 ramené à 10, ça fait un ratio d’un sur sept ; ce n'est pas énorme. Cela donne une photographie proche du quotidien, telle que la prendrait le juge ou le greffier. Je n'ai pas choisi les gens, il n'y a pas de performance, nous n'allons pas vers le scoop. Nous aurions pu avoir des choses extra-ordinaires si nous avions tourné six mois, mais est-ce la réalité de tous les jours ? Non.
Ce principe nous a aussi guidés au montage, avec Simon Jacquet. Le numérique (que nous utilisions pour la première fois) nous permettait de suivre la continuité des entretiens, avec trois caméras, dont l'une en plan large (le master shot). De 30 heures, nous sommes vite arrivés à 5 heures. Puis, comme je me méfie de l'ordinateur (par impatience, on risque des surenchères dans la violence, comme à la télé), nous avons fini le montage en salle de projection. On voit alors les patients dans leur dimension exacte, le pathétique, la force, le désespoir, comme ce que voit un médecin ou un juge, ces métiers qui rencontrent la société tous les jours et voient bien cette France de profil.
Vous allez d'ailleurs à l'encontre des représentations de la psychiatrie que l'on trouve dans « vol au-dessus d'un nid de coucou » (Milos Forman, 1975) ou « Titicut Follies » (Frederic Wiseman, 1967)…
Peut-être est-ce parce que j'ai déjà fait des films sur la psychiatrie, mais je n'ai pas voulu plonger sur le premier patient qui se tape la tête contre un mur. Ça ne m'intéressait pas et je me disais : il ne faut pas stigmatiser la psychiatrie. Elle a été un haut lieu cinématographique, mais elle a changé. Je n'ai pas recherché les moments forts. On a vu des choses un peu dangereuses, violentes – la violence fait partie de la psychiatrie, pas seulement celle des patients, mais celle de l'extérieur, dont ils sont victimes – mais on ne les a pas gardées. On est chez Foucault, dans ce film. Pas chez Bourdieu.
Nous avons filmé tous les services de l'hôpital – ce sont les plans qui s'insèrent entre les entretiens. Et ce qu'on voit : c'est rien. Des portes qui s'ouvrent et se ferment. Et beaucoup de solitude.
En tant que spectateur, notre jugement est souvent suspendu devant les discours des patients, les frontières entre la norme et ce qui s'en échappe sont brouillées…
J'aime bien, ça. Je trouve que ce sont des gens incroyables : il n'y a rien de rationnel là-dedans. C'est quelque chose de très beau, ce sont des poètes, presque des chamanes… mais ils souffrent.
Tous veulent sortir. Au fond, on les comprend. Ils préfèrent être soignés dans les petits centres de quartier, plutôt qu'à l'hôpital, qui est ainsi obligé d'évoluer. Ils sont souvent dans le déni de la maladie. Alors, on est obligé de prendre des dispositions, des mesures de force. Je crois que les psychiatres n'ont pas envie de soigner des gens sans consentement, ils préfèrent quand il y a accord. Mais il faut bien soigner, que les patients ne prennent pas de risque, prendre le relais des familles qui craquent… C'est bien d'être libre, mais il faut être soigné pour être libre…
Alors le juge et l'avocat dans ces lieux de privation de liberté, c'est quand même un pas en avant, même si la confrontation à la maladie est toujours délicate.
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