Alors que la psychiatrie semble couler, un lieu surnage, écrin de bois ajouré posé sur la Seine, à Paris : l'Adamant. Dans son dernier documentaire sorti ce 22 mars, et récompensé par l'Ours d'or à la Berlinale, Nicolas Philibert nous embarque sur cette péniche amarrée quai de la Râpée, à la rencontre de ses visiteurs réguliers, les patients de ce centre de jour du pôle psychiatrique Paris centre, ouvert en juillet 2010, et de l'équipe encadrante. Ou plutôt « entourante », tant les différences entre soignants et soignés sont estompées - ainsi que le veut la psychothérapie institutionnelle.
Comme de nombreux films sur la psychiatrie (par exemple, « 12 jours » de Raymond Depardon), « Sur l'Adamant » interroge sur la frontière entre le normal et le pathologique et révèle avant tout une humanité commune. Celle-ci s'exprime à travers les activités artistiques - lorsqu'un père dessine ses deux jumelles de trois ans qui s'amusent avec des gommettes, qu'une femme se réjouit de son tableau gorgé de couleurs et de joie, que des hommes chantent ou jouent de la guitare, ou que la danse anime les corps.
Plus qu'irrationnels, les patients exposent des rationalités différentes - jamais questionnées frontalement par les éducateurs. Un jeune homme victime de « mauvaises ondes » et souffrant du « bruit des gens » explique porter des colliers en cristal et écouter de la musique pour s'en protéger. Un « clochard céleste » dit chercher à travers ses livres pourquoi un « karma négatif s'est abattu sur sa famille », sur trois générations, mêlant Gérard Philipe, James Dean, Jim Morrison et Van Gogh… et avoir trouvé « un trousseau de clés psychosociologiques ».
« J’ai toujours été très attaché au monde de la psychiatrie. Un monde à la fois dérangeant et j’ose le dire, très stimulant, dans la mesure où il nous donne constamment à réfléchir sur nous-mêmes, nos limites, nos failles, sur la marche du monde », confie Nicolas Philibert, réalisateur d'« Être et avoir », « La maison de la radio », et « La moindre des choses », déjà sur la psychiatrie.
Des « têtes un peu cassées »
La poésie qui émane de ce lieu conçu par des architectes en lien avec les patients et les soignants, ne recouvre pas pour autant la réalité de la maladie psychique d'un voile de mièvrerie.
La souffrance et la solitude sont là. Celle d'une mère dont l'enfant de 16 ans vit depuis ses 5 ans en famille d'accueil, car elle « était embrouillée dans sa tête, et que la naissance l'a projetée dans un autre monde ». « Je ne peux pas parler des voix, elles ripostent sinon, elles m'insultent. Si je ne prends pas mes médicaments, c'est crise aiguë et bouffées délirantes », témoigne un patient qui reconnaît des antécédents de violence. « Sans traitement, je me jette dans la Seine », dit un autre. « Je veux guérir de la folie, voir le médecin et retrouver de la lucidité », indique encore une femme en mal d'amitié.
« On a des têtes un peu cassées », observe un autre patient, rejetant vigoureusement - comme le cinéaste, sent-on - tout amalgame entre maladie psychiatrique et dangerosité. « Il n'y a pas plus de criminels en psychiatrie qu'ailleurs. On est surtout fragile », explique-t-il.
Fragile, l'Adamant l'est. Les critiques peuvent être internes, en l'occurrence lorsqu'une patiente, danseuse de formation, prend à partie l'équipe qui ne répond pas à sa demande d'animer un atelier corporel. Les menaces sont aussi structurelles. Baignée d'une douce lumière moirée, filmée entre reflets de l'eau et jeux de lumière dans les feuilles des platanes, l'embarcation semble encore épargnée par le manque de personnel, qui mine le soin. « Dans un contexte très dévasté, un lieu comme l’Adamant semble un peu miraculeux, et on peut se demander jusqu’à quand il va tenir ? », s'inquiète Nicolas Philibert.
Des réponses qui pourraient venir dans les deux prochains films qui constitueront avec « Sur l'Adamant » une trilogie. Le cinéaste envisage en effet de poser sa caméra au cœur des consultations hospitalières, avant de rendre visite aux patients dans leurs lieux de vie.
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