Le plus claustrophobiant : « Un prophète », de Jacques Audiard
La prison comme film de genre. La prison comme lieu de violence. La prison comme initiation et comme rédemption. La prison comme métaphore. Il y a tout cela et bien d’autres pistes encore dans le dernier film de Jacques Audiard, qu’il a mis trois ans à écrire, avec Thomas Bidegain, d’après un scénario original d’Abdel Raouf Dafri et Nicolas Peufaillit. Deux heures et vingt-neuf minutes, c’est long mais le temps passe de plus en plus vite tandis que nous prenons nos marques en même temps que le personnage principal, un jeune homme de 19 ans sans famille et illettré, qui vient d’en prendre pour six ans. Au début, en effet, on craint le pire, les scènes déjà vues mille fois dans les films et les séries venues d’Amérique : les cellules miteuses, les caïds qui font régner une loi brutale, les humiliations, les menaces, les coups… Et puis, les jeux de pouvoir se complexifient et Malik apprend vite. Le sujet du film n’est pas la violence, mais l’apprentissage, l’identité qui se construit.
Sans cliché ni manichéisme, Jacques Audiard montre les affrontements pour le pouvoir, dedans et dehors, en jouant avec les langues (le français, l’arabe, le corse), en passant de l’enfermement total à de plus en plus d’ouvertures. Sans alourdir les dialogues d’explications, par la seule mise en scène, il fait avancer le héros et l’histoire. Il a bien choisi son acteur principal, le quasi-débutant Tahar Rahim, à côté de Niels Arestrup, toujours aussi solide. (Sortie le 26 août).
Le plus éprouvant : « Antichrist », de Lars von Trier
« Je voudrais vous inviter à jeter un regard derrière le rideau, un regard sur l’univers de mon imagination : sur la nature de mes peurs, la nature d’Antichrist » : attention, invitation dangereuse que celle du cinéaste de « Breaking the Waves », car le film, qu’il juge « le plus important de toute sa carrière », réalisé après une dépression, est particulièrement dérangeant.
Grotesque, jugeront certains, qui préfèrent ricaner devant quelques scènes insoutenables (j’imagine, j’ai fermé les yeux…). Vision et angoisses intimes d’un artiste qui n’a pas peur de donner une réalité visuelle précise à des fantasmes horrifiques, plaideront les autres. Un couple isolé dans la forêt de toutes les peurs enfantines. Lui qui tente de la soulager d’une perte irréparable. Puis la nature qui se fait menaçante, qui la change, elle qui écrivait une thèse sur la gynophobie, sur les sorcières. Sexe dangereux, corps troué, torturé, étouffement. Images très belles, sombres, mêlant conte cruel, mythologie moyenâgeuse, monde infernal selon Jérôme Bosch…
Charlotte Gainsbourg et Willem Dafoe ont eu beaucoup de courage, Lars von Trier le reconnaît. Le spectateur doit en avoir aussi. Sans garantie de ne pas regretter d’avoir tenté l’expérience. Pourtant unique. (Sortie le 3 juin).
Le plus parodique : « Vengeance », de Johnnie To
On attendait beaucoup de la rencontre de notre Johnny national et du spécialiste du polar de Hong Kong. On reste dubitatif sur ce que le rocker-acteur français apporte au film, sinon un exotisme certain pour les spectateurs asiatiques et une présence statique qui convient au rôle, celui d’un père vengeur qui perd peu à peu la mémoire. En revanche on aime, comme souvent, le savoir-faire du cinéaste de « Breaking News » et « Election », qui allie agréablement l’esthétisme et l’humour parodique. Alors qu’importent l’histoire et son prétexte, on apprécie les batailles rangées filmées comme des chorégraphies, les personnages de tueurs qui s’humanisent, les scènes classiques agrémentées de multiples clins d’il. (Sortie aujourd’hui).
Le plus nostalgique : « Taking Woodstock », d’Ang Lee
Après plusieurs films dramatiques, (« le Secret de Brokeback Mountain », « Lust Caution »), le cinéaste né à Taiwan, avait envie d’une comédie. Cela tombe bien, les festivaliers de Cannes aussi. Woodstock, c’est un immense festival de musique qui a réuni, en août 1968, un demi-million de personnes, hippies et pacifistes. Et c’est « l’histoire d’une libération, une histoire d’honnêteté et de tolérance – sur la naïveté que nous ne pouvons et ne devons pas perdre », que raconte Ang Lee. Il s’inspire du récit d’Elliot Tiber, dont les parents possédaient un hôtel miteux dans le nord de l’État de New York et qui a eu l’idée de proposer aux producteurs, à la recherche d’un lieu d’accueil, des champs voisins. Le film est centré sur le jeune homme (Demetri Martin, un comique venu de la scène et de la télévision) qui ne verra la scène du festival que de loin, et ses inénarrables géniteurs, des juifs venus de Russie. Mais c’est, par la musique et les nombreux personnages, toute une époque qui revit, dont on peut être nostalgique même si on ne l’a pas connue. (Sortie le 9 septembre).
Le plus réaliste : « Fish Tank », d’Andrea Arnold
C’est une adolescente anglaise qui vit dans une cité avec sa mère et sa sur. Une fille de 15 ans en rupture d’école qui ne sait parler qu’en criant et en utilisant un langage ordurier. Son seul point d’attache, la danse, du genre hip-hop, à laquelle elle s’entraîne, seule, dans un appartement abandonné. Elle pourrait être l’héroïne d’un film de Ken Loach, elle est celle du deuxième long-métrage d’Andrea Arnold, remarquée à Cannes avec son excellente première uvre, « Red Road ». Incarnée par une non professionnelle, Katie Jarvis, la jeune fille apparaît insupportable, même pour le spectateur, puis s’humanise dès lors qu’on l’aborde avec un peu de gentillesse. Ce sera le cas du copain de sa mère (Michael Fassbender, qui était Bobby Sands dans « Hunger »). Le portrait et le réalisme social ne sont pas très originaux, mais le personnage est attachant. (Sortie le 7 octobre).
Des hauts et des bas
« Là-haut » : pour la première fois, un film d’animation a fait l’ouverture du festival de Cannes. Les spectateurs ont chaussé les grosses lunettes 3D pour s’envoler en même temps que la maison du héros, un vieil homme qui fuit les promoteurs pour partir à la recherche du lieu mythique que sa femme, décédée, et lui, ont toujours rêvé de découvrir. Le relief est confortable et agréable mais pas indispensable tant l’imagination des cinéastes, Pete Docter et Bob Peterson, et de toute l’équipe Pixar-Disney, fait merveille. Aucune niaiserie mais de l’émotion, du rêve, de l’aventure et ce qu’il faut d’humour, à déguster à tout âge à partir du 29 juillet.
Avec « Kinatay », du Philippin Brillante Mendoza, nous sombrons dans l’horreur la plus basse. Attention, elle n’est pas gratuite. Le cinéaste s’inspire de l’histoire vraie d’un jeune étudiant en criminologie entraîné dans un « massacre » (c’est le sens du mot kinatay) parce qu’il s’est joint à un gang de Manille. Mendoza explique que, tout comme ce personnage principal, « nous sommes piégés, nous, spectateurs, à la fois victimes et complices », comme nous le sommes « des horreurs qui agitent le monde » et dont nous devenons les complices, selon lui, si nous nous bornons à en être les témoins. Ce n’est pas faux. Sauf que le spectacle qu’il nous propose (une femme démembrée), justement parce qu’on sait qu’il peut être réel, est insupportable et, bien que filmé de nuit avec peu de lumière, donné à voir non sans complaisance.
La femme aux deux visages
Présenté hors compétition, « Ne te retourne pas », de Marina De Van (sortie le 3 juin) a permis de combler pour un jour le déficit de vedettes (c’est la crise aussi pour l’industrie du cinéma et les stars ne se déplacent pas jusqu’à Cannes pour quelques kopecks, sauf si elles ont un film en promotion). Sophie Marceau et Monica Bellucci incarnent le même personnage et, flirtant avec le fantastique (en fait la vision intérieure de son héroïne), la réalisatrice n’hésite pas à mêler les deux visages. C’est un peu trop spectaculaire pour être convaincant, on y reviendra.
Ridley Scott, Jordan Scott, John Woo, Emir Kusturica, Mehdi Charef, Katia Lund, Spike Lee).
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