Dans le cadre de la présentation du PLFSS, vous avez affiché votre volonté de « renforcer durablement et profondément l’accompagnement des personnes en perte d’autonomie à domicile ». Quelles actions comptez-vous mettre en place ?
Brigitte Bourguignon : Cette question est évoquée depuis très longtemps en France. Nous savons qu’environ 85 % des Français aujourd’hui souhaitent vieillir le plus longtemps possible à domicile. Il faut donc s’y atteler par tous les moyens. Toutefois, nous nous heurtons à un problème : celui du déficit de formation et des difficultés de recrutement dans le secteur des services à domicile qui interviennent au quotidien selon le degré d’autonomie. Il y a, en outre, un réel manque de reconnaissance des travailleurs de ce secteur.
Par ailleurs, il faut arrêter de regarder ce sujet à l’aune de la grande dépendance, en se disant qu’on passe subitement du stade d’actif qui prend sa retraite au stade de la perte d’autonomie. Il se passe des choses entre-temps. Il faut travailler sur tout ce qui peut faire parcours. Cette approche domiciliaire, nous l’abordons vraiment dans le PLFSS.
De bout en bout, cette chaîne a montré ses insuffisances pendant la crise sanitaire, ce que nous ne voulons plus et ce sur quoi on doit travailler. D’abord, nous avons créé la 5e branche dédiée à l’autonomie, qui est financée avec une vraie trajectoire budgétaire pluriannuelle. Avec ce PLFSS, nous mettons l’accent sur ce qui va permettre de revaloriser les métiers, de permettre aux départements, qui sont les financeurs, d’accentuer la qualité des services rendus avec la dotation qualité et l’équité sur le territoire national (notamment les tarifs socle à 22 euros de l’heure pour tous les services à domicile, ndlr). Ces mesures ne sont pas neutres, ce sont 200 millions d’euros l’année dernière dans l’avenant 43 qui ont permis de revaloriser les grilles salariales. Nous travaillons aussi sur les autres parties. Par exemple sur l’habitat en lui-même, avec des solutions alternatives de logement. Ça entrera dans la loi 3DS. Et puis sur les Ehpad, qui demeureront mais ne sont pas la seule finalité, avec une grande mobilisation de l’investissement. Nous travaillons aussi sur les aidants, qui font partie intégrante de ce parcours.
Vous évoquez la notion de parcours d’autonomie. Quel rôle les médecins généralistes ont vocation à jouer dans le maintien à domicile ?
B. B. : Le médecin a déjà sa place, évidemment. D’abord, la plupart du temps, il est celui en qui la personne a placé le plus de confiance en termes de santé. Mais on se heurte aux problèmes de la démographie médicale. Beaucoup de personnes âgées n’ont plus de médecin traitant. Évidemment, je suis favorable à ce que les médecins traitants soient déterminants dans l’orientation de la personne dans ce parcours d’autonomie à chaque étape, qu’ils soient déterminants dans cette détection des signes précurseurs de la perte d’autonomie.
Je pense même qu’il faudrait cultiver avec eux l’approche du sport santé, qui permet parfois de retarder une dépendance qui arrive, parce qu’eux sont à même de la repérer assez vite. Avec les maisons de santé pluridisciplinaires, par exemple, il pourrait y avoir plus d’interactions avec les Ehpad, sur l’accueil de jour, des ateliers qui permettent parfois de retarder la dépendance, etc. Et il y a des filières gériatriques qui se créent. Les médecins généralistes peuvent être des acteurs moteurs de ces filières et retrouver leur rôle de prescripteurs. Ils vont être déterminants aussi pour l’aidant car, souvent, les aidants laissent de côté leur propre santé, négligent leurs rendez-vous.
Une des mesures de l’avenant 9 est intégrée dans le PLFSS dans cette stratégie autour de l’autonomie…
B. B. : Nous avons permis, avec l’avenant signé en juillet, d’élargir la capacité de consultations en affection de longue durée des médecins avec une revalorisation et des consultations plus nombreuses (mesure de l’avenant 9 : possibilité de coter une visite longue par trimestre pour les patients de plus de 80 ans en ALD, ndlr). J’y crois ! Il est nécessaire qu’au fil du temps, on puisse évaluer et ajuster au mieux ce qu’on peut prescrire à la personne. Ce ne sont pas seulement des soins ou un renouvellement d’ordonnance mais aussi des services à la personne. Pour moi, la médiation nécessaire entre le domicile et l’Ehpad, c’est le médecin, qui peut être prescripteur aussi de tous ces intervenants qui viennent à domicile, en évitant que les personnes se retrouvent dans un hall de gare. D’où l’importance de la coordination.
Aujourd’hui, certains médecins jugent la rémunération des visites à domicile dissuasif et préfèrent délaisser ce mode d’exercice. N’y a-t-il pas urgence à revaloriser son tarif ?
B. B. : Sur cette question du tarif, il ne m’appartient pas de me prononcer. Mais ce lien au domicile est essentiel. Si nous voulons bâtir quelque chose de cohérent, de sécurisant, il va falloir que ces présences et ces visites à domicile s’accentuent.
Selon les pathologies, les médecins passent encore au domicile. Sur la vaccination, ils ont été d’une aide précieuse. Avec les généralistes, nous avons vu le mouvement de la vaccination à domicile s’accélérer, et ils ont prêté main forte dans les centres de vaccination. Il est déterminant de continuer d’aller au domicile des personnes d’un certain âge et on peut aller beaucoup plus loin. On développe aussi l’idée de l’Ehpad hors les murs, avec des professionnels de l’établissement qui peuvent aller prêter main forte chez les personnes âgées. Il faut également recréer de l’attractivité pour les médecins coordonnateurs. Ce que nous faisons également dans le PLFSS, avec la revalorisation de leur prestation et en faisant en sorte de permettre aux établissements de les financer mieux.
Le nombre de personnes en perte d’autonomie devrait passer de 2,4 millions en 2019 à 3 millions en 2030. Comment relever ce défi démographique alors que la densité médicale diminue ?
B. B. : Sur le problème de la démographie, le développement de la télémédecine a été déterminant pendant la crise sanitaire. Personnellement, au début, j’y croyais peu. Dans un territoire très rural, je connais l’attachement des personnes au médecin. Pour autant, ils n’en avaient plus beaucoup. Le développement de la télémédecine dans les MSP a été capital.
Et, avec l’ouverture de formations plus larges et la fin du numerus clausus, nous mettons en place des mesures pour recréer de l’attractivité pour la médecine. Beaucoup d’efforts sont déployés pour faire venir à nous des médecins mais encore faut-il réhabiliter l’image même de la médecine de proximité. Quand on a un secteur comme le mien, du grand âge, vous imaginez bien l’importance de recréer ce lien avec le médecin et cet engouement pour une installation de proximité dans des cabinets qui sont aujourd’hui désertés. C’est l’enjeu de demain, aussi pour le grand âge.
Jean Castex a confié au député Jean-Marc Zulesi, début novembre, une mission dédiée aux mobilités actives. Comment cela s’inscrit-il dans la lutte contre la perte d’autonomie ? Les médecins y participeront-ils ?
B. B. : Nous avons vu, au Danemark, des exemples autour de la pratique du vélo. C’est plus large que ça. La mission porte sur les mobilités dans leur ensemble. Car des personnes n’osent plus sortir de chez elles. Il faut identifier tous les freins à lever. Et au-delà de ça, que les gens fassent de l’activité physique, adaptée bien sûr, tout au long de leur vie. Il faut prendre conscience que c’est important. Je faisais partie des quatre députés qui ont porté l’amendement sur le sport sur ordonnance. Ça paraît toujours un peu gadget alors que c’est fondamental pour beaucoup de pathologies. Dans notre pays, le médecin c’est le soin et pas forcément cette pratique. Pour l’instant, ce n’est pas culturel.
Pour cette mission, il s’agit de montrer qu’il y a des solutions de mobilités pour que les personnes âgées continuent à être dans la ville et il faut convaincre que toutes les autres pratiques sportives sont nécessaires. Sur les chutes aussi, il est prouvé qu’une personne qui ne marche plus suffisamment, qu’on n’entraîne pas à se mouvoir dans son domicile a dix fois plus de risques de tomber que les autres. D’où l’idée de cette mission sur les mobilités. Il faut continuer à sensibiliser les généralistes. Le Conseil national de l’Ordre des médecins sera consulté dans le cadre de cette mission, dont le rapport est attendu au 1er semestre 2022.
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