Le sevrage tabagique nécessite une rigoureuse évaluation des déterminants de la dépendance et des vulnérabilités. Chez les fumeurs dépendants, malgré l’application des recommandations de la Haute Autorité de santé, les scores d’abstinences restent faibles, en particulier chez les « hard-core smokers », ces « gros fumeurs » qui payent un lourd tribut sanitaire.
Voulant mieux caractériser ces gros fumeurs, nous avons effectué une étude à la recherche d’évènements psychotraumatiques et d’états de stress posttraumatiques (ESPT), dans notre patientèle de médecine générale. Il en résulte que les fumeurs actifs ont vécu deux fois plus d’évènements psychotraumatiques que ceux n’ayant jamais fumé. En consultation libérale de tabacologie, les fumeurs très dépendants ont, pour une grande majorité, vécu des psychotraumatismes (76 %) et sont souvent en état de stress post-traumatique (ESPT) [66 %].
Il nous semble que nous ne pouvons plus en rester seulement au repérage initial des vulnérabilités anxiodépressives chez les fumeurs, ni même aux indicateurs de forte dépendance. Il faut rechercher, chez tout fumeur dépendant, des psychotraumatismes, avec une simple question : « avez-vous déjà vécu des violences physiques, psychiques ou sexuelles ? »
Une hypothèse explicative du craving
Ces données permettent de formuler une nouvelle hypothèse explicative du craving, signe pathognomonique de l’addiction (lire page XX), en redonnant une place à la dissociation corticolimbique et à la réactivation de la mémoire traumatique. Chez une victime de psychotraumatisme, le cortex posttraumatique aurait appris, devant toute situation apparentée à un nouveau danger, à se couper d’abord des voies de l’émotion, oubliant qu’il est censé savoir analyser logiquement la situation, construire une solution, générer puis commander une action réfléchie. Le cerveau de tels sujets ne serait donc plus contrôlant, mais dissociant, réactif, et compulsif.
Une autre prise en charge
Nous proposons que soit envisagée, avec les patients fumeurs, psychotraumatisés et gérant difficilement leurs affects, la mise en route de deux approches ayant montré leur efficacité dans les ESPT chroniques : l’hypnothérapie ericksonienne et l’EMDR (eye movement desensitization and reprocessing). Elles permettant à l’inconscient de réorganiser intuitivement des solutions propres au sujet. Le patient sent ainsi qu’il peut enfin compter sur lui : il devient acteur de sa guérison.
Chez ces patients à dépendance complexe, le recours aux thérapies comportementales et cognitives (TCC) devrait selon nous être secondaire, après avoir réalisé, en EMDR et hypnothérapie, la réassociation des capacités émotionnelles et du contrôle cortical. Les TCC pourraient alors trouver leur place, pour changer, s’il en reste encore, certains automatismes de pensée et de comportements.
Nous proposons ainsi un nouvel arbre décisionnel dans la prise en charge du fumeur.
De nombreuses études sont à prévoir sur ce sujet. Par exemple : y a-t-il un lien significatif entre les symptômes d’ESPT du gros fumeur et ce que certains auteurs commencent à identifier et appeler pathologie des affects, ou trouble de la régulation émotionnelle ?
Médecins généralistes, tabacologues et psychothérapeutes ericksoniens (Indre et Loire)
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